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sonniers, le gardien recommande de ne pas dormir et de faire bien attention au feu. J’ai entendu bien des prisonniers qui disaient que pour eux le moment le plus triste de la journée était celui de la fermeture des portes. Alors pour empêcher de dormir on fait chanter les voleurs, ce sont des cris forcenés pendant une partie de la nuit ; plus ils crient, plus les gardiens sont contents. On fait deux repas par jour, le matin et le soir ; pour mon vieux et pour moi, on ajoutait une tasse de bouillie au milieu du jour.

Notre cabanon ressemblait aux autres pour toute ouverture, une porte qui se fermait la nuit ; au-dessus, quelques barreaux de bois en forme de lucarne laissaient entrer un peu d’air et de lumière. Les murs solides étaient recouverts de planches de tilleul disjointes. Sur le plancher était une couche de paille ; lorsque j’entrai, on mit pour moi un peu de nouvelle paille, mais sans enlever celle de dessous qui était pourrie et répandait une odeur infecte. Dans le même local, il y avait le vieux Tchoi Jean, mon maître de maison, arrêté en même temps que moi et aussi, le même jour que moi, transporté de la prison de droite dans celle de gauche. Il se trouvait moins mal dans celle-ci. Il nous raconta que dans l’autre, les prisonniers chrétiens étaient pêle-mêle avec les voleurs, et si à l’étroit qu’on ne pouvait se tourner sans déranger ses voisins, que tous étaient aux entraves comme les voleurs. Il avait été appliqué deux ou trois fois à la torture ; ici, on le traitait assez bien, il était nourri comme moi. Malgré cela, le pauvre vieux souffrait beaucoup et était souvent malade.

Au fond du cabanon, était un vieux noble païen, emprisonné depuis dix mois pour cause de rébellion, il se disait innocent ; je crois qu’on reconnut plus tard qu’il disait vrai, car il fut mis en liberté le 18 avril. Il avait un mauvais caractère et avait fait beaucoup souffrir les pauvres chrétiennes avant notre arrivée, les accablant d’injures, insultant la religion. On nous dit que notre arrivée l’avait changé ; mais nous eûmes lieu plusieurs fois de voir sa méchanceté. Nous nous en défiions et nous nous tenions sur nos gardes. Son fils venait le voir de temps en temps à la porte de la prison, où ils se parlaient à travers un guichet, et par lui nous savions ainsi quelques rares nouvelles du dehors. Il y avait encore trois chrétiens arrivés depuis peu de la province de Tchyoung-tchyang ; c’étaient de pauvres cultivateurs forts et robustes ; après quinze jours de séjour dans la prison, ils étaient méconnaissables, souffrant de cette vie de réclusion et ne pouvant manger suffisamment. Quand nous n’étions pas surveillés, nous