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heureux quand quelquefois on leur permet de sortir et de tremper leurs mains dans le trou d’eau corrompue et puante pour s’en laver un peu la figure, la poitrine et les jambes. Aussi sont-ils tous couverts d’épaisses couches de gale, quelques-uns attaqués de la teigne. Parmi eux se trouvent de grands coupables, mais combien qui sont détenus pour avoir volé quelque objet de peu de valeur. Si l’on voulait prendre tous les voleurs, il faudrait d’abord arrêter la plupart des gardiens ; et, parmi les satellites, combien qui seraient plus à leur place au rang des voleurs. Mais la justice humaine dans ce beau pays de Corée, quelle horreur !

La nourriture consiste dans une petite tasse de riz sans assaisonnement le matin et le soir, nourriture insuffisante ; aussi ceux qui arrivent forts, bien portants, au bout de vingt jours sont comme des squelettes.

Les prisonniers pour dettes ou pour autres motifs que le vol sont moins maltraités ; on les désigne sous le nom de Tcha-kal, nom qui s’applique à tous les prisonniers qui ne sont pas voleurs ; ils peuvent communiquer avec leurs parents et amis, recevoir leur nourriture du dehors (la prison ne les nourrit pas), ils mènent même joyeuse vie, font bombance, sous les yeux des voleurs affamés. Ceux que j’ai vus étaient pour la plupart des employés du gouvernement, ils restaient jusqu’à ce qu’ils eussent rendu la dernière sapèque.

Les chrétiens sont nourris comme les voleurs, ils ne peuvent communiquer avec personne du dehors ; ordinairement ils n’ont pas les pieds passés dans les ceps, du moins dans la prison de gauche ; ils font partie des Tcha-kals, mais par mépris on les appelle du nom injurieux de Kouang-pang-i.

Pour ce qui est du régime de la prison, voici en quoi il consiste Le matin, au point du jour, un gardien vient et crie : « On ouvre les portes ». Les voleurs exceptés, ceux qui veulent sortir dans la cour peuvent le faire. Le soir, quelque temps après le coucher du soleil, on compte les prisonniers ; les gardiens se rassemblent, on en place un dans chaque cachot pour le surveiller, puis on ferme les portes en mettant par dehors une grosse poutre transversale retenue par des chaînes ; dès lors, il est impossible de sortir, quelque besoin que l’on éprouve, quelque malade que l’on soit ; il ne reste personne en dehors pour ouvrir les portes, le gardien qui les a fermées va dormir en ville ; le feu prendrait au bâtiment que tous les prisonniers seraient grillés. Aussi, avant de partir, après avoir compté le nombre des pri-