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VI

Les prisonniers étaient partagés en trois catégories principales, à savoir : celle des voleurs, celle des prisonniers pour dettes et la nôtre, où les chrétiens étaient en majorité. Chacune de ces catégories occupait un local spécial.

Les voleurs sont les plus à plaindre. Ils étaient une trentaine, les pieds passés dans les ceps jour et nuit, tous atteints de maladie ; la gale les dévore, leurs plaies tombent en pourriture, ils souffrent la faim, ce sont des cadavres ambulants, quelques-uns n’ont que la peau et les os, à peine peuvent-ils faire quelques pas, quand au milieu du jour on leur permet de sortir ; c’est le spectacle le plus horrible qu’on puisse imaginer ; faut avoir vu cette misère pour s’en faire une idée. On fait ce que l’on peut pour les rendre malheureux, pour les abrutir. Il leur est défendu de dormir ; pendant la nuit, les gardiens armés de gros bâtons les surveillent, et si, emporté par le sommeil, la fatigue, quelqu’un vient à s’assoupir, aussitôt le gardien, faisant usage de son arme, le réveille à coups de bâton sur le dos, les jambes, la tête. Que de fois pendant la nuit nous avons entendu les coups que ces forcenés, souvent ivres, administraient à ces pauvres malheureux, qui n’avaient qu’un souffle de vie et qui souvent expiraient sous les coups des gardiens barbares ! Non seulement le jour mais encore la nuit, ils sont exposés à la merci de ces êtres plus semblables à des tigres qu’à des hommes. Sous le moindre prétexte et quelquefois sans raison, ils se font un plaisir d’administrer des coups de bâtons, l’impunité leur est assurée, car ils sont les maîtres. Après la mort d’un voleur, on déclare qu’il est mort de maladie, on l’enlève, on le dépose dans la chambre aux cadavres et, la nuit suivante, les gens chargés de la voirie le prennent et vont le jeter dans un bois, en dehors des remparts.

Le cachot des voleurs, c’est l’image de l’enfer la plus frappante qui soit sur la terre. Ils sont tous presque nus, quelques-uns, quand on les faisait sortir, prenaient un morceau d’étoffe pourrie pour s’en couvrir les reins comme d’une ceinture ; dans la prison, plusieurs sont nus, été et hiver. Ceux qui ont quelques restes d’habits ne peuvent les laver ; impossible à eux de se procurer un peu d’eau pour se laver les mains ou la figure, bien-