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qui déguisent toutes leurs pensées, qui disent le contraire de ce qu’ils pensent, vous assurent avec serment une chose qu’ils savent parfaitement être fausse ; c’était cependant ma position ; mais j’étais habitué à ce manège et j’en étais venu à ne plus rien croire de ce qu’on me disait. Quand ils se parlaient entre eux, c’était différent ; mais alors ils parlaient à voix basse.

V

Un jour, le 19 mars, le chef de poste reçut une lettre, ils se la communiquèrent, et la lurent avec un air stupéfait, se parlant à voix basse. Évidemment il s’agissait de moi, et c’était quelque chose d’imprévu. Le chef du poste changeait tous les trois jours, ce soir-là il en vint un nouveau ; on s’empressa de lui communiquer le contenu de la dépêche : « Tiens, dit-il tout surpris, tout allait bien ce matin, on a donc encore changé de sentiment ; ce n’est pas possible ; apportez-moi la lettre. » On la lui apporte et après l’avoir lue il ajoute : « À quelle heure l’avez-vous reçue ? — Elle est venue dans l’après-midi. — C’est bien extraordinaire, dit-il, il n’y a que quelques moments, on m’avait donné des ordres contraires, enfin soit. » Quelques moments après, un satellite assez embarrassé vint me dire : « Vous êtes peu tranquille ici, le juge vient de donner l’ordre de vous mettre dans un appartement où il y aura moins de bruit. — Où va-t-on me mettre, de quel côté ? — De ce côté-ci. — Alors, c’est en prison, avec les voleurs ? — Oh non, me dit-il. — Serai-je seul ? Non, j’irai avec vous. » Dès lors je ne doutais plus qu’il s’agissait de me mettre dans la prison, où je savais que se trouvaient les voleurs. C’est du moins un pas vers une conclusion, pensai-je alors ; je ne prévoyais pas les longs jours que je devais y séjourner.

Le soir, en effet, le chef me dit : « On va vous conduire dans l’appartement dont on vous a parlé. » Un satellite passa devant, ouvrit une petite porte, et nous nous trouvâmes dans une cour que je jugeais être celle de la prison. Je ne me trompais pas ; mais pour me ménager la surprise, on avait évité de me faire passer par la grande porte, qui ne s’ouvre qu’avec difficulté, au bruit de chaînes. Un gardien se présente à nous, et nous indique un cabanon, nous nous dirigeons vers cet endroit ; mais un autre gardien dit : « Non, c’est ici. » Nous retournons pour entrer dans celui-ci ; il n’y avait que trois prisonniers, je