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certaines questions trop scabreuses, on ne me parla même pas de l’expédition française de 1866. Je pensais que peut-être j’apprendrais bientôt le résultat de la délibération, et la sentence qu’on prononcerait. Mais vain espoir, je sus seulement plus tard que le gouvernement était dans un grand embarras à mon sujet. Les uns, comme précédemment, voulaient me mettre à mort ; mais le roi et tout un autre parti hésitait ; on a même assuré que l’apparition fréquente des navires européens sur la côte, leur faisait peur, ils ne pouvaient se décider à me condamner à mort. Les autres disaient : « Mais c’est un homme juste, il ne nous a jamais trompés, il n’a pas fait de mal, ce serait beaucoup mieux de le renvoyer dans son pays, alors nous n’aurions pas à craindre la guerre ; mais comme ce sont les chrétiens qui vont les chercher, qui les amènent, il faudrait, pour les empêcher de venir, mettre tous les chrétiens à mort. » Le grand juge Ni Kyeng-ha n’approuvait pas cette mesure ; en effet, on dit qu’il déclara qu’il était impossible de penser à éteindre par la persécution le christianisme jusqu’à la racine. « Les chrétiens sont si nombreux, aurait-il dit, et tellement répandus qu’il en restera toujours ; c’est donc bien inutile de recommencer à les mettre à mort. » On disait aussi que le régent ne voulait pas s’occuper de mon affaire. Ses anciens amis, qui se rappelaient les exécutions de 1866-68, etc., étant allés le trouver pour l’exciter contre nous, il répondit : « Cela ne me regarde pas, et puis, je n’ai aucune autorité ; mais ajouta-t-il, il valait bien mieux fermer les yeux sur cette affaire et laisser cet Européen tranquille ; le gouvernement n’a rien à craindre de lui ; au contraire, en le mettant à mort, vous vous attirez des affaires avec son gouvernement ; en le renvoyant, vous vous en faites bien en vain un ennemi. » J’ai aussi entendu dire que la reine Min, s’en étant mêlée, avait dit : Pourquoi mettre cet homme à mort puisqu’il est innocent ; si on met un innocent à mort comme un coupable, comment pourrai-je élever mes enfants ? »

Quoi qu’il en soit de tous ces bruits, il y a une chose qui est très-certaine, c’est que l’on ne savait à quoi s’arrêter, on hésitait, prenant tantôt une détermination, tantôt une autre. En effet, après l’interrogatoire, je restai quelques jours dans la chambre des satellites, tout près de la prison, faisant connaissance avec les employés de ce nouveau poste. Ils étaient loin d’être aimables, me paraissaient encore plus fourbes, plus rusés que les autres, et aussi plus menteurs, s’il est possible. On a peine à se figurer la difficulté qu’il y a de vivre avec des hommes