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mourir, j’avais l’intention d’y rester jusqu’à la mort. Quand bien même je retournerais dans mon pays, je n’aurais aucun emploi, — On m’a fait voir ton passeport, d’où l’as-tu obtenu ? — Je l’ai obtenu de la cour de Pékin qui en donne à tous les missionnaires, afin qu’ils puissent circuler sans être arrêtés ni inquiétés. — Quel est le cachet qui est dessus ? Je pense que c’est le cachet du gouvernement chinois. — Est-ce le cachet du tribunal des Rites ou d’un autre ? — Je ne puis répondre, ne le connaissant pas. — Est-ce toi qui l’as demandé au gouvernement chinois ? — Non, c’est le ministre de France résidant à Pékin qui l’a demandé pour moi. — Comment s’appelle-t-il ce ministre ? Il s’appelle Louis de Geofroy. — Comment dis-tu ? — Louis de Geofroy. » Alors tous les assistants, prêtant l’oreille, essaient de répéter, et j’entendis les plus habiles qui disaient, en pinçant les lèvres, avec force grimaces : « Nui te So-poa. » Je répétai encore en appuyant sur chaque syllabe ; le juge essaya bien inutilement une fois d’articuler ce mot, il y aurait perdu sa dignité en insistant. Mais les autres voulant à toute force le prononcer, il me fallut encore le répéter plusieurs fois, toujours avec le même succès. Je ne pouvais m’empêcher de rire, et je leur expliquai que ce nom étant français, a des sons différents de ceux de la langue coréenne. « Mais toi tu prononces bien les mots de la langue coréenne ! — D’abord je ne les prononce pas bien, puisque quelquefois vous avez de la peine à me comprendre ; ensuite il m’a fallu beaucoup d’étude et d’exercice ; dans les commencements, il y avait des mots que je ne pouvais pas prononcer. » Après cette interruption, le juge reprit : « Pourquoi étant sorti une première fois, es-tu revenu ? — Le batelier voguant sur la mer et surpris par une tempête, va se mettre à l’abri dans quelque port ; puis, la tourmente passée, il se remet en mer ; ainsi j’ai fait. » Le juge se mit à sourire en disant à demi-voix : « Oh ! ce n’est pas la même chose. Qu’es-tu venu faire ? — Prêcher une belle doctrine. — Quelle doctrine ? — La religion catholique qui enseigne à honorer le Maître du Ciel (Dieu). — Qu’est-ce que Dieu ? — C’est le créateur du ciel et de la terre, c’est lui qui a créé le premier homme d’où nous sommes tous descendus ; tout homme doit honorer ses parents, à plus forte raison doit-on honorer Dieu, le père de tous les hommes ; c’est encore lui qui gouverne tout l’univers, qui est le maître de tout. — Qui a jamais vu Dieu ? — Dieu a parlé aux hommes, c’est Dieu lui-même qui a donné les dix commandements que tous les hommes doivent observer. En outre, les preuves de l’existence de Dieu sont par-