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émoi, se tenait sur ses gardes ; on en signala encore en avril et en mai, et chaque fois cette nouvelle excitait une grande rumeur. Vers le 12 mars, un chef de satellites vint avec toute une troupe, j’appris alors qu’il revenait d’une expédition dans le sud, sans doute pour chercher les missionnaires ; ils confirmèrent l’arrivée des navires sur les côtes et parlaient de l’émoi des populations. Ils ramenaient trois chrétiens, mais n’avaient pas pu trouver les Pères, ce qui les rendait très-mécontents. Ils s’excusaient en disant qu’il était impossible de pénétrer dans les campagnes infestées de brigands, que les satellites du pays n’osaient s’y aventurer. C’est sans doute ce mécontentement qui s’est déversé sur moi, car trois jours après eut lieu le grand interrogatoire. Jusqu’ici j’avais été épargné, et l’on ne me traitait pas trop mal.

IV

Le 16 mars au matin, je remarquai une certaine agitation que je ne pouvais comprendre ; mais j’étais habitué à ces sortes de choses, je n’y fis pas trop d’attention. J’étais alors renfermé dans une petite chambre dont la porte donnait sur la cour ; par cette porte entr’ouverte je vis qu’on apportait une chaise et le chef vint aussitôt me dire : « Évêque, monte là-dedans. — Pour aller où ? — Tu le sauras bientôt, monte vite. » Je voulus prendre mon bréviaire, il m’en empêcha en me disant : « Ce n’est pas nécessaire, laisse-le ici, je m’en charge. » Alors je m’assis dans cette chaise destinée à transporter les cadavres dans certaines circonstances. Deux porteurs la soulèvent et deux satellites l’accompagnent ; l’un d’eux en passant la porte laissa échapper cette exclamation : « Pauvre malheureux, comme c’est dommage, si du moins on l’avait renvoyé de suite dans son pays ! » Nous parcourûmes plusieurs rues sans exciter la curiosité, car caché comme je l’étais dans cette chaise fermée, personne ne pouvait me voir. Pendant le trajet, je me demandais où l’on pouvait bien me conduire, impossible de le savoir ; du reste j’étais prêt à tout, et je m’abandonnai avec confiance à la Providence, ne désirant en tout que de faire pleinement la sainte volonté de Dieu. Nous arrivâmes devant un grand bâtiment où la chaise s’arrêta. La grande porte était ouverte, et tout le monde y entrait ; mais comme prisonnier, je ne pouvais passer par là, je devais entrer