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de 8 pieds, s’approchait ; au commandement du chef, il levait son instrument et frappait le coupable qui à chaque coup ne manquait pas de crier ; mais pour étouffer ses cris deux autres soldats chantaient sur un ton différent : ieu, oh, i. Les coups se succédaient, à des intervalles assez rapprochés, pendant lesquels le chef faisait encore une petite admonition qui devenait de plus en plus sévère et même colère. À chaque coup les deux soldats chantaient, et le patient criait plus fort. Il y a manière de donner les coups, aussi les soldats entre eux savent s’épargner, et bien souvent cette bastonnade n’est qu’une comédie ; mais j’en ai vu qui ayant reçu dix coups de cette planche avaient la peau enlevée et les cuisses profondément labourées ; ils perdaient connaissance, et il leur fallait un mois pour se remettre.

La religion de tous ces gens employés de préfecture, comme celle des nobles, des fonctionnaires, c’est le culte de Confucius ; ils honorent Confucius, le respectent, le louent, l’admirent, lui font des sacrifices. Ils sont fiers de ce culte et accusent les Chinois d’indifférence à l’égard du philosophe. Plusieurs fois ils m’ont dit : « Nous avons une doctrine, la doctrine de Confucius, nous n’avons pas besoin d’en avoir une autre, nous n’en voulons pas d’autre. » Entrer directement en discussion sur Confucius était inutile, et n’eût fait que les irriter vainement. Plusieurs fois cependant, à l’occasion, je leur ai fait voir que la doctrine de Confucius n’était pas complète, que les sacrifices qu’ils font aux ancêtres ne sont souvent qu’une comédie, qu’ils ne sont pas raisonnables, etc…, mais tout cela avec beaucoup de précautions, car les Coréens sont très-susceptibles sur cet article. Pour les convertir, il faut d’abord leur expliquer la doctrine chrétienne, leur en faire voir la beauté, les preuves, etc., mais attaquer de front leurs doctrines ne ferait que les humilier sans les convertir. Puis j’ajoutais : « Vous dites que vous avez une doctrine, mais le peuple n’en a pas ; les lettrés honorent Confucius, les bonzes honorent Fô, mais le peuple, quelle doctrine suit-il ? — C’est vrai, disaient-ils, le peuple n’a pas de doctrine. — Eh bien ! qu’on nous laisse donc enseigner au peuple la religion chrétienne ; vous savez qu’elle est bonne, il y a de grands lettrés coréens qui l’ont pratiquée. — Oh ! oui, disaient-ils, c’étaient de grands savants que tel et tel… »

Déjà deux fois, on avait signalé des navires européens sur la côte, au commencement de février et vers le 10 du mois de mars. Étaient-ce des contes ? Toujours est-il que la population était en