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nois, et qui durent un mois ; c’est un amusement barbare, mais les satellites qui racontaient la chose en étaient émerveillés. Ces jeux consistent en de vrais combats ; deux armées composées de deux ou trois cents hommes armés de gros bâtons de deux pieds de long sont en présence l’une de l’autre. À un signal donné, les combattants se précipitent avec fureur sur leurs adversaires ; alors les coups de bâton pleuvent à droite, à gauche jusqu’à ce que l’un des partis soit obligé de céder, et de s’enfuir laissant la victoire à son adversaire. On conçoit aisément ce qu’il en résulte de contusions, de mâchoires et d’épaules démises, de têtes, de jambes, de bras cassés, souvent la mort même s’ensuit. Ce sont de vrais combats de gladiateurs, c’est, dit-on, un des plus beaux spectacles des habitants de la capitale qui en sont fiers. Comme je leur faisais observer l’immoralité de ces luttes, ils me répondaient : « Oh ! il n’y a que les Coréens pour avoir ce courage, pour supporter de tels coups, et braver ainsi la mort !… » Il paraît qu’une fois l’acharnement a été tel que le gouvernement s’est cru obligé de défendre ce jeu ; mais deux jours après, il recommençait dans un autre quartier, toujours en dehors des portes de la capitale. « Oh ! si les Européens assistaient à ces jeux, comme ils auraient une haute idée des Coréens ! me disaient-ils encore, il n’y a pas de peuple comme nous ! »

J’eus aussi plusieurs fois l’occasion de connaître la manière dont on corrige les soldats. Parmi ceux qui étaient employés au corps de garde, il y avait quelques braves gens toujours posés, tranquilles, remplissant bien leurs devoirs ; mais il y en avait d’autres, qui étaient toujours en dehors de la discipline, occupés à se reposer ou à ne rien faire ; la paresse est en effet un des plus grands vices de ces gens-là. Il y en avait deux ou trois, qui toutes les fois qu’ils pouvaient le faire, ne manquaient pas de s’enivrer. Un certain nommé Rocher, homme grand, fort, solide, passait peu de jours sans avoir son compte. Il rentrait ivre et dans l’impossibilité de faire le service. On le laissait dormir en le mettant cependant aux entraves, puis le lendemain le chef le faisait venir, et le condamnait à recevoir trois, cinq ou dix coups de planche. On m’a invité plusieurs fois à voir cette exécution, mais je refusai en plaignant le pauvre patient, ce qui faisait rire les satellites ; quoique je n’aie pas vu, j’ai cependant tout entendu. On faisait étendre le patient sur une natte, en présence de ses camarades ; le chef lui faisait une admonition, puis un homme armé d’un bâton, ou plutôt d’une planche longue