Page:Ridel - Relation de la captivité et de la délivrance de Mgr Ridel, 1879.pdf/27

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 21 —

dû apprendre mon arrestation, ils se seront cachés, et personne ne peut connaître le lieu de leur refuge. — C’est une parole juste, dit le juge, il ne peut savoir où ils sont présentement… Mais où étaient-ils alors, où demeuraient-ils ? — Je ne puis répondre à cette question, car, quand bien même j’y répondrais, vous ne trouveriez pas plus facilement les Pères que vous cherchez ; ils ont fui, et personne ne connaît leur retraite ; de plus, je dénoncerais bien inutilement des personnes innocentes, et je leur causerais un vrai dommage ; ce que je ne puis et ne veux pas faire. — Que désires-tu qu’on fasse de toi ? — Je ne sais ce que le gouvernement décidera ; mais puisque vous me faites cette question, je désire que le gouvernement me permette de rester en Corée, de m’établir à la capitale et de prêcher la doctrine. Vous en connaissez assez pour savoir qu’elle n’est pas mauvaise, qu’elle enseigne à faire le bien. Ceux qui la pratiquent, sont des gens paisibles, honnêtes, de bons citoyens, le gouvernement ne pourrait donc qu’avoir avantage à nous accorder cette permission. — Et si on te renvoyait ? — Je ne demande pas à partir, au contraire, et si on me le permet, je resterai dans le pays jusqu’à la mort ; je me chargerai encore de recueillir, de nourrir et d’élever les orphelins et les enfants abandonnés, qui sont si nombreux. — Où prendrais-tu de l’argent ? — Les enfants de France. m’en donneraient. — Ils sont donc bien riches ? — Pas très-riches ; mais ils sont généreux, charitables et aiment les enfants de Corée… — Pourquoi te frottes-tu les mains ainsi ? — Sorti d’une chambre chaude, au milieu de la nuit, j’ai froid… — Tu as froid ! eh bien, qu’on l’emmène et traitez-le bien. » Puis il remit pour moi au chef des satellites une petite boîte de gâteaux de Chine.

Que pensait, que faisait le gouvernement ? C’était à n’y rien comprendre, sinon que, dans le conseil, il y avait à mon sujet une grande hésitation. J’ai entendu un jeune homme, qui disait : « Hier soir, il y a eu une dispute terrible à la préfecture de police, deux ministres se parlaient avec colère, et sont restés jusqu’à minuit sans pouvoir se mettre d’accord. — À propos de quoi ? lui demanda-t-on. — À propos de l’Européen. » Et ces scènes arrivaient fréquemment, parait-il. Les uns voulaient me renvoyer en Chine ; les autres, au contraire, voulaient me mettre à mort. Un scribe me dit un jour : « On a envoyé en Chine pour consulter le gouvernement à votre sujet, et ce qu’il ordonnera de faire on le fera. » D’autres disaient : « Quand les autres Pères seront arrivés, on décidera, vous feriez bien de les appeler et de leur donner l’ordre de venir. »