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quelques-uns les faisaient avec assez d’intelligence et écoutaient volontiers les réponses. On est venu un jour me demander sérieusement, si je ne pourrais pas renvoyer les Japonais, qui devaient venir au printemps et en débarrasser le pays. On m’a demandé aussi si je ne pourrais pas leur faire un bateau à vapeur !

Pendant toutes ces conversations, j’avais peu l’air d’un prisonnier, et cependant j’étais bien en prison, impossible à moi de sortir, deux gardiens me surveillaient nuit et jour.

On parlait dès le début de me renvoyer dans mon pays ; un chef vint même me dire un jour : « Si l’on te renvoyait dans ton pays, où faudrait-il te conduire ? — Conduisez-moi où vous voudrez, vous savez bien que je ne désire qu’une chose, c’est qu’on me permette de rester en Corée, pour y enseigner la doctrine chrétienne. — Mais si l’on te renvoie, tu ne partiras donc pas ? — Si on me renvoie de force, je serai bien obligé d’aller où l’on me conduira. — Mais où te conduire ? Si l’on te mettait en Chine, comment ferais-tu ? » Jusqu’à ce moment je n’avais pas parlé de mon passeport chinois, parce que je le jugeais inutile pour la Corée, je trouvais le moment favorable de l’exhiber. « Si vous me renvoyez en Chine, je serai peu embarrassé parce que j’ai un passeport qui me permet d’aller par tout le pays du Leao-tong. — Fais-voir ; » je le lui présentai, il le lut et me le rendit sans avoir l’air d’y faire attention. « Ça, c’est inutile pour ici. — Oui, je sais que c’est inutile ici, c’est pourquoi je n’en ai pas parlé jusqu’ici, mais en Chine avec ce passeport je puis obtenir la protection des mandarins chinois. » Il l’avait cependant bien examiné et se hâta d’en parler, car le lendemain on vint de la part du grand juge, me demander mon passeport, pièce qui fit un peu sensation ; on m’en parla même dans un interrogatoire, et enfin on oublia de me le rendre.

Comme je l’ai dit plus haut, quelques jours après mon arrestation, les deux juges, celui de droite et celui de gauche, furent mis de côté et remplacés par d’autres. J’eus une fois l’occasion de voir celui de droite, appelé Kim, il me fit appeler à son tribunal au milieu de la nuit. Comme précédemment, il était dans un appartement, dont on ouvrit la porte, ou, si l’on veut, la fenêtre ; pour moi je me tenais debout dehors avec quelques satellites. L’interrogatoire fut insignifiant, et je pense qu’il ne m’a appelé que pour me connaître, et se procurer le plaisir de me voir. Entre autres choses, il me demanda : « Où sont les autres Pères ? — Je l’ignore, répondis-je, depuis quinze jours, ils ont