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attendre de pareils hommes. Je ne voudrais cependant pas dire que tous fussent méchants et barbares ; j’aime même à croire qu’il y a des exceptions assez nombreuses, et pour ce qui me regarde, les satellites du tribunal de droite ne m’ont généralement pas maltraité ; quelques-uns même prenaient ma défense et me protégeaient contre ceux qui m’injuriaient. Ils aimaient à causer et me faisaient une foule de questions ; il m’a fallu plus de cent fois leur parler des royaumes d’Europe, de la France, leur dire son étendue, sa distance, etc., expliquer les quatre saisons, les phases de la lune, les éclipses de soleil, de lune…, les bateaux à vapeur, les chemins de fer. J’ai pu même leur expliquer la doctrine chrétienne, Dieu, la création…, les dix commandements. Pour Dieu, ils n’y croient pas, mais ils admirent les dix commandements, et bien souvent j’ai entendu de la bouche de ces hommes l’éloge des chrétiens. « Ce sont des gens doux, paisibles, disaient-ils, ils ne volent pas, ils ne disent pas de mensonges, ne parlent pas mal du prochain, ne frappent personne, etc., etc… » Quelle différence avec eux, qui volent quand ils peuvent ; mentent presque toujours, à tel point qu’on ne sait que croire de leurs paroles ; j’ai été trompé tant de fois, qu’à la fin je n’ajoutais plus aucune foi à ce qu’ils me disaient, c’est une spécialité du satellite ; mais ce qui est de tous les Coréens, ce sont les paroles obscènes, les histoires, les discours scandaleux ; ils parlent même entre eux par gestes ; au commencement je ne comprenais pas, mais quand ils m’eurent expliqué ce que cela signifiait, afin de couper court à de telles choses, je leur exprimai de suite tout mon mécontentement avec indignation ; bientôt ils prirent des précautions, et quand il se présentait quelque nouveau venu, avec des questions scabreuses, des gestes, ou plutôt des signes obscènes, ils s’empressaient de lui dire : « Ne parle pas de cela, car il n’aime pas à entendre ces choses. » Mais les questions les plus ordinaires, qui sont du reste des questions de politesse, et auxquelles j’ai été obligé de répondre des milliers de fois, sont celles-ci ? « Comment vous appelez-vous ? Quel âge avez-vous ? De quel pays êtes-vous ? Avez-vous vos parents ? Avez-vous des enfants mâles ? Avez-vous des frères ? » Et pour rendre la politesse, il me fallait de mon côté faire les mêmes interrogations. Mais ils ajoutaient : « Quand êtes-vous venu ? Avec qui ? Comment ?… » questions indiscrètes auxquelles je déclarais n’être pas obligé de répondre. Mon intention n’est pas de rapporter ici toutes ces conversations ; pendant tout le temps que j’ai vécu au milieu d’eux, ils n’ont cessé de me faire des questions sur toute sorte de choses ;