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des caractères et un cachet ; ils la portent suspendue à la ceinture du pantalon, par une courroie en peau de cerf. Leur autorité est très grande, personne n’oserait leur résister, à l’exception des nobles qui les méprisent et quelquefois les font maltraiter ; mais alors même ils trouvent toujours moyen de se venger sur le peuple, et malheur à ceux qui, en de telles circonstances, tombent entre leurs mains. Ils sont surtout à craindre quand ils ont une vengeance personnelle à exercer, ou lorsqu’ils veulent s’emparer des biens de quelques gens riches ; ils savent toujours se tirer d’affaire et, à défaut de raisons, ils emploient la torture et tourmentent leurs victimes sans règle ni mesure.

Au commencement du mois de janvier, ou en décembre 1877, un satellite avait des relations avec la deuxième femme d’un homme du peuple, il voulait se l’approprier ; pour arriver à cette fin il se réunit à d’autres, et tous ensemble ils accusent cet homme de vol, l’arrêtent, le jettent en prison, et pour lui faire avouer ses prétendus vols, le soumettent à une horrible question. Mais on avait beau le battre, il protestait toujours de son innocence ; cela ne faisait qu’augmenter la rage des satellites, qui le réduisirent à un état voisin de la mort. Sur ces entrefaites, les gens de son village qui le connaissent pour un honnête homme, se réunissent et vont protester au tribunal ; peu à peu on découvre que l’accusation est entièrement fausse, le préfet ordonne de le relâcher ; mais le pauvre homme ressemble plus à un cadavre écorché qu’à un homme vivant ; les côtes sont à nu, la barbe, les cils, les sourcils sont brûlés, les paupières attaquées, les pieds foulés, les genoux écrasés, les cuisses et le bas ventre brûlés, enflés, etc… Les satellites craignant qu’il ne meure (car eux-mêmes seraient responsables) se mettent à le soigner ; je n’ai pas su s’il était revenu à la vie.

Quand les chrétiens sont entre les mains de ces barbares, l’on peut s’imaginer à quels supplices ils sont réservés. Dans cette persécution, le préfet de police ne les avait pas tout à fait abandonnés à la discrétion des satellites ; il avait lui-même, paraît-il, indiqué les supplices qu’on pourrait leur appliquer, pour les forcer à faire des révélations et à apostasier : c’étaient la torsion des jambes et des bras, la suspension. J’ai pu entendre quelquefois les soupirs et les cris de ces pauvres torturés, qui souffraient pour Notre-Seigneur Jésus-Christ. Hélas ! je partageais bien leurs souffrances ; mais ce qui me faisait mal, c’était d’entendre les ricanements, les éclats de rire des satellites et des bourreaux assistant à ce spectacle. Il n’y a point de pitié à