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de deux pièces de bois superposées, longues d’environ 4 mètres, et larges de 0m, 15. À la pièce inférieure se trouvent des échancrures, dans lesquelles on place le pied à la hauteur de la cheville ; lorsque les pieds des patients sont ainsi placés, on abaisse la partie supérieure qui se meut au moyen d’une charnière, placée à l’une des extrémités ; tandis qu’à l’autre, elle se ferme au moyen d’un cadenas ; cet instrument s’appelle tchak-ko ; ainsi placés, les voleurs ne peuvent s’échapper. Quelquefois on fait placer ainsi les deux pieds ; pour moi on se contenta de me prendre un seul pied. Quand on me présenta l’instrument, on fut obligé de me donner une leçon. Les deux satellites avaient presque honte de me mettre dans cette position ; pour adoucir un peu la chose, ils me dirent : « C’est une coutume ici, quand, pour la première fois, on reçoit un hôte, on lui fait passer le pied dans cet instrument. » Je pus me coucher sur le dos, et avec un peu d’adresse, me mettre aussi sur le côté. Fatigué que j’étais de cette nouvelle vie, je pus dormir quelques heures. Ce qui me gênait le plus, c’étaient deux individus couverts de haillons, qui, couchés peu loin de moi, se remuaient dans la paille, poussaient des soupirs, et ne cessaient de se gratter pour déplacer la vermine qui les dévorait ; ils m’avaient tout l’air d’être les bourreaux qui devaient m’exécuter, leur figure était affreuse ; j’appris plus tard que c’étaient des mendiants, employés dans la police secrète ; dans la suite, j’eus occasion de voir les bourreaux ; ils ont la figure encore plus hideuse.

J’ignorais ce qui pouvait arriver ; en tous cas, je n’avais pas d’illusions à me faire ; ce qui était arrivé à mes prédécesseurs me disait assez le sort qui m’était réservé. Lorsque le 31 janvier j’entendis quelques mots d’une conversation secrète, on parlait d’exécution pour le lendemain. Le jour, il m’était difficile de me recueillir ; mais la nuit étant plus tranquille, je la passai à me préparer, persuadé que mon dernier jour avait sonné. Voici une note que je trouve sur mon ordo, au 1er jour du mois de février : « Récité l’office jusqu’à none ; dans quelques instants je vais probablement mourir, je suis tout à Dieu. Vive Jésus ! Dans quelques instants je vais être au ciel ! » Il me semble que j’étais bien préparé, et tout disposé à mourir. Pour employer le temps qui me restait, je chantai le Laudate… et l’Ave Maris stella et j’attendis. Les soldats firent ce jour-là, dans la cour, un exercice extraordinaire en poussant des cris féroces… Tout me confirmait dans l’idée que j’avais… Y a-t-il eu de fait une exécution ? je n’ai jamais pu le savoir.