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plus je suis évêque. — Ah ! c’est sans doute le Père Ni d’autrefois, qui s’étant échappé, est devenu l’évêque Ni ? — Vous avez dit vrai, c’est ainsi qu’il en est. — Eh bien ! ajoute-t-il, qu’on l’emmène et qu’on le traite bien. » Le vieux Jean répondit aussi à quelques questions ; d’abord il s’était mis dans une posture humble devant le juge, lorsque celui-ci lui dit de se lever, il hésitait ; mais le juge l’invita de nouveau avec bonté. Deux gardes me tenaient très serré, le juge leur donna l’ordre de me lâcher, disant : « Avec cet homme il n’y a rien à craindre. » C’est la seule fois que je vis ce juge, il paraissait bon, affable ; le vieux Jean, qui eut l’occasion de le voir encore deux fois, en était enchanté ; sans doute il était trop bon, il nous était peut-être favorable ; aussi quelques jours après fut-il cassé.

On m’emmène au corps de garde ; là, au lieu de me laisser reposer, on m’accable d’une foule de questions, j’y réponds aussi bien que possible. Enfin peu à peu tous se retirent, deux satellites seulement restent pour me garder ; vers minuit, ils me poussent un petit morceau de bois carré qui doit me servir d’oreiller, je fais ma prière et je m’endors facilement. Le lendemain je puis faire mon oraison par morceaux, car à chaque instant on m’adressait la parole ; je récitai aussi mon office, j’avais mon bréviaire qu’on m’avait remis, et je pus le conserver et le réciter jusqu’au 16 mars. Au commencement c’était difficile ; mais bientôt tout le monde sût que, quand je lisais ce livre, c’était inutile de m’adresser la parole.

La veille j’avais voulu consulter ma montre pour voir l’heure et je m’aperçus qu’elle avait disparu ; j’en fis l’observation au chef de police en lui disant : « Lorsque je sortis de chez moi, j’avais une montre, elle n’est plus dans mon petit sac, je l’aurai perdue en route, peut-être qu’elle sera retrouvée. » Il s’étonna d’abord, mais je l’entendis très bien dire ensuite : « Quel homme juste ! On lui a volé sa montre et pour n’accuser personne, il dit qu’il l’a perdue. » Je me souvins, en effet, que l’homme, qui me tenait pendant la route, se cramponnait à ce petit sac, sous prétexte de plus de facilité pour me tenir ; je ne pensai pas alors qu’il avait l’intention de me voler. Le matin, je m’aperçus que mon petit peigne européen avait aussi disparu, mon canif également, tout avait suivi le même chemin ; mon anneau heureusement me restait, le voleur ne l’avait pas sans doute palpé, je résolus de le bien cacher.

Bientôt on me fait passer dans une autre chambre plus basse, c’était le soir ; on me met aux ceps. Ces entraves se composent