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étrange ; tous ces habits de mille couleurs, plus ou moins propres, toutes les lanternes (chacun portant la sienne qui) vont, viennent, se croisent, donnent aux rues un aspect singulier. Je pus remarquer tout cela, malgré la pression de mes deux geôliers, qui me tenaient étroitement serré, et me secouaient d’une belle façon. Mais mon esprit était surtout occupé du malheur de ce pauvre peuple, qui ne connaît pas Dieu. J’étais venu pour répandre la lumière de la foi, pour lui enseigner le chemin du ciel, et je me voyais arrêté dès le début. Du moins je m’offris généreusement à N.-S. afin de mourir pour le salut de ce pauvre peuple.

Sur le parcours, les satellites sont empressés, plusieurs viennent successivement au-devant de nous ; ils se parlent à voix basse, vont, viennent, courent, c’est une vraie confusion. Enfin on arrive peu à peu à la porte du tribunal de droite, on allume deux grandes lanternes ; deux rangs de soldats se forment, on me fait avancer au milieu d’eux ; j’aperçois le vieux Jean qui est à ma droite, nous sommes en plein air ; devant nous, une porte à coulisse en papier s’ouvre, et nous apercevons le grand juge ou préfet de police, assis sur une natte dans son appartement. L’interrogatoire commence. Connaissant la susceptibilité des Coréens pour tout ce qui est de l’étiquette, j’avais résolu d’employer toujours dans mes réponses la forme polie du langage entre égaux ; aussi dès le début je dis à mon juge : « Mon intention est de vous parler selon les règles du langage ; mais comme je suis peu expert en la langue coréenne, il peut m’échapper quelques expressions peu correctes, je vous prie de n’y pas faire attention. » Les assistants me regardent ébahis et le juge me demande : « Comment t’appelles-tu ? — Je m’appelle Ni. — Ton prénom ? — Pok Myeng-y (ce qui veut dire Félix Clair). — Depuis quand es-tu venu ? — Je suis venu à la 7e lune. Par quelle route ? — Par Tchang-san (cap le plus à l’ouest de la côte de Corée). — Pourquoi es-tu venu ? — Pour prêcher la religion catholique, et enseigner aux hommes à se bien conduire. — En as-tu instruit beaucoup ? — Arrivé depuis si peu de temps, je n’ai pas eu le loisir d’instruire beaucoup de personnes. — Quels sont ceux qui t’ont amené ? — Comme la réponse à cette question pourrait causer du dommage à plusieurs personnes, c’est pour moi un devoir de n’y pas répondre. — Où sont ceux que tu as instruits ? — Je connais peu le pays, j’ignore où habitent ceux que j’ai pu voir ; de plus, par le même motif que j’exposais tout à l’heure, vous comprenez que je ne puis donner le nom d’aucun de ceux qui ont eu des rapports avec moi. — Es-tu Père ? — Oui, et de