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qui me maltraitaient, puis il ajoute : « L’évêque va venir avec nous ; je sais que vous vous servez d’un livre pour réciter des prières, confiez-le-moi, je vais m’en charger, et vous le remettrai quand nous serons arrivés. » J’étais étonné de l’entendre parler ainsi, et je lui demandai comment il savait tout cela. « Oh ! dit-il, c’est moi qui ai arrêté Mgr Berneux et Mgr Daveluy ; je les ai bien connus, et les autres Pères aussi. » Ensuite, il me demanda si j’avais des montres. « Oui, j’en ai trois. — Vous avez aussi du vin de raisin, oh ! c’est bien bon, le vin de raisin, ça sera pour nous. » Je lui montrai ensuite mes caisses. « C’est bien, dit-il, on va prendre soin de tout cela. » Pendant ce temps je tâchais de me recueillir en pensant à la prise de N.-S. au jardin des Oliviers, je me sentais heureux de marcher sur les traces de notre divin Maître, j’étais content d’être prisonnier de J.-C. ; mais j’éprouvais une bien grande douleur en pensant à mes chers missionnaires et à mes pauvres chrétiens. Les jours précédents, pour me préparer à la fête de saint François, j’avais fait mes méditations sur la douceur et la fermeté de ce grand saint, je résolus de faire mes efforts pour l’imiter. Le bruit continuait dans ma maison, les satellites et leurs employés surtout criaient, riaient, plaisantaient, bouleversaient tout ; quelques-uns m’injuriaient, malgré les remontrances de leur chef. Enfin celui-ci vint m’avertir qu’il était temps de partir. Deux employés me saisissent, et je sors accompagné de toute une troupe de satellites ; mon pauvre vieux coréen, dans la même position que moi, venait par derrière ainsi qu’un jeune homme, qui se trouvait par hasard à la maison, au moment de l’arrestation.

Les voisins qui avaient entendu le vacarme, étaient à leurs portes pour nous voir passer ; mais une fois sortis du quartier, personne ne faisait attention à nous ; il faisait déjà nuit. Je pus tout à mon aise voir les rues de la capitale, je n’avais pas besoin de me cacher ; c’était la première fois que je pouvais les traverser sans crainte d’être reconnu. Je vis les habitants qui fourmillaient comme toujours à cette heure ; les marchands ambulants qui criaient ; les enfants qui couraient, chantaient, s’amusaient ; les femmes qui, couvertes de longs voiles aux vives couleurs, circulaient en silence. Je vis des cortèges de grands nobles, ils étaient précédés de valets qui couraient poussant de grands cris, pour avertir le peuple de faire place ; je vis aussi de pauvres petits enfants abandonnés qui, assis au milieu de la rue, transis de froid, cherchaient à exciter par leurs cris la pitié des passants. La capitale offre vraiment à cette heure une physionomie