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fois administré les sacrements à quelques chrétiens de la capitale, et j’attendais que les fêtes du premier de l’an coréen fussent passées, pour faire une administration en règle, et donner une seconde fois les sacrements à tous les chrétiens de Séoul. Nous attendions aussi notre courrier de la frontière, qu’il devait nous apporter des nouvelles d’Europe, mais le courrier n’arrivait pas. Que lui était-il arrivé ? Impossible de le savoir, nous eûmes quelquefois des inquiétudes à ce sujet ; mais tous les chrétiens que je consultai étaient d’avis que, vu la facilité de passer la frontière à cette époque, il était impossible que le courrier fut arrêté. Nous ne pouvions qu’attendre avec patience.

Telle était notre position, lorsque le 28 janvier, vers dix heures du matin, mon vieux maître de maison, le pauvre Tchoi Jean que vous connaissez, entre dans ma chambre. Sa figure était décomposée, son air triste ; j’étais assez habitué aux terreurs de nos chrétiens ; mais ce jour-là je lui trouvai un air qui annonçait quelque chose de plus grave que de coutume. « Qu’y a-t-il, lui dis-je, sont-ce encore de mauvaises nouvelles ? » Après un long soupir, il me dit : « Les courriers ont été arrêtés à la frontière, on les a appliqués à une horrible torture, ils ont été forcés de tout déclarer. La nouvelle en est arrivée hier ; aussitôt le roi a fait venir les satellites, et a donné lui-même l’ordre d’arrêter l’évêque et tous les Pères. Les traîtres de 1868, Hpi Paul et Tchoi, ont été requis pour rechercher les chrétiens. Les satellites doivent venir ici aujourd’hui, c’est l’un d’eux qui a raconté tout ceci à une chrétienne sa parente ; celle-ci s’est empressée d’envoyer son fils en donner avis. — Eh bien ! voici le moment d’être vraiment chrétien, tout ceci arrive par la volonté de Dieu, il n’y a nullement de notre faute. Nous allons être pris, comptons sur le secours de Dieu, qui ne nous fera pas défaut, et disposons-nous à mourir pour sa plus grande gloire ; c’est le chemin le plus direct pour aller au ciel. — Oh ! je n’ai pas peur de mourir, moi qui suis si vieux ; mais l’évêque qui ne fait que d’arriver, mais les chrétiens qui n’ont pas encore pu recevoir les sacrements !!!… Quel coup ! c’est la fin de la religion en Corée !… »

Aussitôt, j’écrivis une lettre commune pour MM. Blanc et Deguette, dont le courrier était encore à la capitale. Je m’empressai de prendre tous les papiers coréens, lettres, etc… qui auraient pu donner des indications compromettantes, et je les fis mettre au feu. Je retirai aussi le peu d’or et d’argent qui restait à la maison, et je confiai le tout à mon imprimeur, homme dévoué qui était accouru promptement pour m’offrir un refuge