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la mer


Si je te refusais mes larmes que tu bois,
Ton pauvre front tout nu serait chauve de bois ;

Sur tes flancs racornis tes mamelles arides
Se ratatineraient aux crevasses des rides ;

Ta chair s’effiloquant ainsi qu’un oripeau,
Ton squelette en granit viendrait trouer ta peau ;

Et tu ne serais plus, dans la mort endormie,
Que le corps desséché d’une vieille momie.

Mais ne crains rien : je l’aime et tu ne mourras pas.
Le travail que je fais a pour moi trop d’appas !

M’exhaler de la mer, m’envoler vers la nue,
Te baiser, puis rentrer là d’où je suis venue,

C’est plaisir toujours vierge et toujours renaissant
Pour mon âme sans fin qui monte et redescend.

Quand je t’ai pénétrée ainsi par chaque pore,
Je m’écoule, ruisseau ; brouillard, je m’évapore ;

Puis, pour recommencer, ou brouillard, ou ruisseau,
Je retourne avec joie à la mer, mon berceau.

Car tout ce que j’ai dit de moi, c’est d’elle seule
Qu’il faut le dire. Elle est la mère. Elle est l’aïeule.