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les gas

Qui frétille et qui meurt avec de petits cris
Comme si le canot était plein de souris.
Et puis quoi ? Faut-il pas faire manger le monde ?
Et sans la gueldre infecte, et sans la rogue immonde,
Bonsoir à la sardine, et vous ne l’auriez pas,
Riches, pour vos hors-d’œuvre, et gueux, pour vos repas.
Non plus que les pêcheurs, dame, les sardinières
Ne hument en bouquet des odeurs printanières.
À passer tout le jour les sardines en main,
Elles n’embaument pas le lis ni le jasmin ;
Et leurs doigts, leurs cheveux, leur linge, leur peau même
Tout ça sent le poisson. Mais bah ! j’aime qui m’aime !
Et les gas sont plus d’un qui les aiment ainsi.
C’est qu’avec leur bonnet comme on les porte ici,
Dont les coins envolés semblent des ailes blanches.
Avec leur corselet qui fait saillir les hanches
Et dont, à l’entre-deux, le fichu reste ouvert,
Avec leur jupon court qui montre à découvert
Les mollets arrondis et les fines chevilles.
On dira ce qu’on veut, ce sont de belles filles.
Sans compter qu’après tout le parfum le plus cher
Ne vaut pas celui-là qui leur reste à la chair,
Ce bon parfum salé, fort, montant, où se mêle
L’effluve de la mer à ceux de la femelle,
Parfum voluptueux aux appels réchauffants,
Qui met en appétit de faire des enfants.
Et pas de ces enfants marmiteux et débiles,
Avortons alanguis de fièvres et de biles,
Pauvres anges pâlots, mal venus, mal plantés,
Comme ceux de hasard qu’on fait dans les cités !