Page:Richepin - La Mer, 1894.djvu/170

Cette page a été validée par deux contributeurs.
158
la mer

Ils nous marmonnent des chansons
En nous disant que c’en est une
De mathurin, et nous glissons
Dans leur main sale un peu de thune.

Mais ces jours-là, ces bons instants,
On les compte au cours de l’année.
Les autres, les jours malcontents,
Se suivent comme à la fournée.
Longs mois de disette acharnée !
De quoi ça vit ? De vieux restants
Raccrochés au jour la journée.
De quoi ça vit ? De l’air du temps.

Et cependant, ça vit, ça grouille.
Plus mal que bien, c’est entendu !
Aucun n’a la panse en citrouille.
Le plus gras a l’air d’un pendu.
Mais chacun, à vivre assidu,
Résiste, lutte, et se débrouille.
Leur espoir n’est pas plus perdu
Que le fer n’est mort sous la rouille

Quel espoir ? Ils ne savent pas.
Pourtant, on voit qu’il les fait vivre,
Puisque, partout où vont leurs pas,
On peut lire comme en un livre
Dans leurs yeux la soif de le suivre.
Espoir de quoi ? D’un bon repas ?
D’un lit plus sûr ? D’un sommeil ivre ?
Espoir d’un tranquille trépas ?