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La qualité a donc reparu en physique, d’où le mécanisme prétendait bien l’avoir chassée à jamais et par là même l’hétérogénéité probable des énergies, la différenciation des concepts, si nous voulons exprimer le même fait en termes logiques. Nos physiciens les plus autorisés se gardent bien de dépasser le témoignage des sens qui sont en faveur de la multiplicité. Il faut voir en particulier ce qu’est devenu ce pauvre éther, par qui un instant à la suite des intuitions géniales de Maxwell succédant à celles de Faraday, on crut avoir trouvé le moyen d’unifier les phénomènes cosmiques en les ramenant à la vibration. A mesure que la spécificité des énergies se manifeste, il y a des éthers de plus en plus nombreux qui n’obéissent malheureusement pas aux mêmes lois, un éther gravifique, un autre lumineux et calorifique, un autre électrique. Combien s’en révétera-t-il d’autres encore, avec les progrès de la dislocation qu’inaugure la physique de la qualité ?

Ce que nous constatons dans le plan ou ordre de l’inorganique se retrouve, aggravé encore, dans les ordres supérieurs où sont groupés les phénomènes plus complexes, ceux de la vie en particulier. La réaction contre le mécanisme unificateur est à peu près générale et la thèse de la spécificité fait partout des progrès. Pour nous exprimer dans le langage platonicien dont la science ne s’est d’ailleurs pas affranchi, non seulement les concepts cosmiques deviennent fluides, mais encore les entrelacements que selon la tradition ils formaient semblent se dénouer à moitié. On abonde dans le sens d’Aristote. Il ne faut pas confondre les genres, disait le vieux péripatéticien. La science dépasse la portée qu’il attribuait à son axiome....

Dans Aristote en effet, le jeu de la déduction comme de l’induction restait possible, grâce à la logification monistique qui constituait en quelque sorte le cosmos. Les genres, distingués à la surface, se conciliaient profondément dans l’unité de la pensée mondiale, celle de Dieu. Or présentement, il est bien malaisé, devant les tendances à la spécification des phénomènes qui se manifestent dans chaque ordre de sciences, à croire comme jadis à cette unification miraculeuse dont la seule garantie semble être la parole prononcée au Sinaï. Il se peut que le mot de l’énigme cosmique soit multiplicité et non pas unité, qu’il y ait des trous noirs entre ces catégories que la théologie si longtemps et le ratio-