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en vertu du principe d’Aristote, il n’est pas permis au savant actuel de confondre les genres. La spécificité des sciences, selon les vues présentes, se concilie donc avec le monisme, affirmé a priori et vérifiable quand l’homme sera Dieu. Mais par malheur encore le mouvement qui avait déjà gagné le concept s’en prend à ces entrelacements qu’on appelle d’un commun accord les sciences. Il se produit là d’étranges dislocations, à en juger par exemple d’après ce qui se produit dans le plan de la matérialité inorganique, dans la physique, que l’on prétendait déjà acquise en grande partie aux mathématiques et immobilisée dans leurs équations farouches. Tout s’émiette là dedans, s’il faut en croire les physiciens eux-mêmes. Le monisme partiel dont ils enveloppaient tous les phénomènes situés sur ce plan n’était que pure artificialité. Les unifications, estimées dès maintenant trop hàtives, se délient en même temps que les faits ondulent et se dérobent aux formules.

De là ce qu’on appelle déjà la physique de la qualité, par opposition aux logifications quantitatives ou pour mieux dire mécaniques, si bien à la mode jusqu’ici. Quoique de toute évidence les faits physiques ne fussent pas réversibles, l’intellect s’était néanmoins si bien plié à la discipline mécanistique que lord Kelvin, par exemple, pouvait écrire sans broncher « Il me semble que le vrai sens de la question comprenons-nous ou ne comprenons-nous pas un sujet particulier en physique, est : Pouvons-nous faire un modèle mécanique correspondant ? Je ne suis jamais satisfait tant que je n’ai pu faire un modèle mécanique de l’objet. Si je puis faire un modèle mécanique, je comprends ; tant que je ne puis faire un modèle mécanique, je ne comprends pas. » Ces temps sont passés, bien que des mécaniques plus compréhensives, semble-t-il, que celle dont se contentait lord Kelvin pour comprendre, aient été imaginées présentement, où la réversibilité ne serait plus obligatoirement la règle, où les phénomènes physiques en conséquence pourraient satisfaire pleinement aux lois qu’exige l’esprit de réduction de nos mécanistes. En dépit des tentatives de Helmholtz et plus récemment de Hertz, la thèse monistique perd du terrain et les énergies cosmiques, ramenées trop tôt au mouvement reconquièrent cette spécificité qu’affirmaient, contrairement à la raison, nos organes sensoriels seuls intermédiaires, après tout, entre notre pensée et l’univers.