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lieu d’être des modes de l’absolu, ce ne seraient pas seulement des produits de notre intellect taillant et dénouant de façon quelque peu arbitraire dans les inextricables enlacements du cosmos. Des atténuations de toute espèce enlèvent aux concepts, quoique mis sous forme mathématique ce qui est le plus grand progrès qu’on ait accompli depuis l’antiquité la valeur qu’il est de tradition de leur attribuer. De la nuit s’épand entre eux, disloque les logifications monistiques dont on se flattait déjà d’envelopper l’univers. Et il se pourrait que l’Organum, tant l’ancien que le nouveau, sortît compromis de l’aventure. Peut-être le cosmos n’est-il pas, comme on le suppose depuis Platon et Aristote - et comme Bacon n’a cessé de l’affirmer - un système de concepts réductibles aux nôtres. I ! y a peut-être disparité de la pensée de l’univers à celle que nous nous sommes, selon toute vraisemblance, fabriquée au long des âges.

Quoique unifiant tous les concepts dans une pensée suprême, Aristote avait cependant posé pour principe essentiel de sa dialectique l’aphorisme bien connu il ne faut pas confondre les genres. Les modernes ont suivi jusqu’au bout la recommandation du Péripatétique. Quoique logifiant le cosmos selon une pensée monistique, ils ont admis, sous le nom de sciences, divers groupements de concepts superposés ou juxtaposés, selon le point de vue auquel on se place, en tout cas dans des plans distincts. Ainsi se présente pour nous l’édifice de la science, tel que le positivisme d’Auguste Comte l’a imaginé, aristotélicien non moins que platonicien, quoi qu’on en dise. Une pensée unique, ce que M. Berthelot appelait la science idéale, enlace comme le Bien Un des philosophes archaïques le cosmos tout entier. En tout cas jamais la pensée humaine, on l’avoue, ne pourra atteindre cette adéquation qui réaliserait l’intelligibilité absolue. En cet heureux temps le tout est idée serait vérifié non seulement par Dieu mais par l’homme. Cela n’est qu’une limite dont il nous est permis de nous approcher plus ou moins dans l’avenir. Pour l’heure présente, il suffit d’affirmer la possibilité de cette réduction totale, fût-ce dans la pensée de Dieu, l’unité logique des concepts dont l’ensemble constitue le cosmos et de passer à l’oeuvre, c’est-à-dire au débrouillement des genres reconnus distincts, unifiés seulement dans l’absolu.

Chaque science constitue donc un tout bien défini, un ordre, et