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LA LOGIQUE DE L’ANALOGIE

La logique de l’analogie est reléguée au second plan dans les traités classiques de méthodologie. Elle ne vient qu’après celles de la déduction et de l’induction, seules légitimes, j’écrirais presque seules absolues, au point de vue de la saine science. On se défie du raisonnement analogique. Pour une fois qu’il a réussi, il a par contre conduit tant de fois aux pires aberrations ! On n’en use qu’à contre-cœur, quand on ne saurait faire autrement, quand la nuit est complète. Des individuations sont là, éparses, offrant parmi des dissemblances plus ou moins profondes certains traits communs. On se risque à les grouper dans un concept que l’on s’empresse d’ailleurs de déclarer hypothétique au plus haut point. A la plus minutieuse expérience de vérifier sans retard si l’association d’idées n’est pas trop aventureuse, si l’on a bien affaire à un concept cosmique, alias une loi, ou si ce n’est pas là une billevesée, comme l’histoire nous en montre tant le long des siècles, une de ces bulles d’air que nous soufflons par jeu et qui éclatent au contact des faits. En d’autres termes, des phénomènes se produisent sous nos yeux, issus de la ténèbre, et par le prestige de quelque similitude souvent verbale, nous projetons là dedans une loi de séquence qui a été reconnue valable pour un ordre de phénomènes dits analogues. Le tâtonnement va toujours du connu à l’inconnu. Nous cherchons, par un besoin étrange d’unité qui constitue le fond de notre nature intellectuelle, à étendre un mode d’explication qui a été jugé bon une première fois et qui l’est peut-être une fois encore. Le plus souvent l’analogie nous a déçus, il faut recommencer à nouveaux frais, grouper en d’autres concepts les individuations qui se rebellent, organiser suivant d’autres séquences la production des phénomènes qui de plus belle jaillissent du mystère. L’analogie est faillible, comme tout ce qui est humain, trop humain. Seules la déduction et l’induction ont quelque chose de surnaturel, sont les modes que Dieu emploierait s’il daignait raisonner, s’il ne savait