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Les préceptes relatifs à l’attitude politique méritent une mention spéciale. En principe, l’Individualisme est indifférent aux régimes politiques par ce qu’il est également hostile à tous. L’idée-mère de Stello est que tous les régimes politiques : monarchie (voir l’histoire d’une puce enragée), république bourgeoise (histoire de Chatterton), république jacobine (une histoire de la Terreur), persécutent également le poète, c’est-à-dire l’individualité supérieure, géniale et indépendante. « Donc, dit Stello, constatant cet ostracisme perpétuel, des trois formes du Pouvoir possibles, la première nous craint, la seconde nous dédaigne comme inutiles, la troisième nous hait et nous nivelle comme supériorités aristocratiques, sommes-nous donc les ilotes éternels des sociétés ? » David Thoreau refusait de voter et appelait la politique « quelque chose d’irréel, d’incroyable et d’insignifiant ». — Toutefois il est des cas où l’individu peut utilement s’occuper de politique. Cela peut être un moyen pour lui de combattre et de neutraliser d’autres influences sociales dont il souffre. — D’autre part, par le fait même qu’il est, en principe, également défiant à l’égard de tous les régimes, l’individualisme peut, en pratique, s’accommoder de tous et se concilier avec toutes les opinions[1].

Parmi les individualistes, il en est qui sont particulièrement sévères pour la démocratie. D’autres s’inspirent de M. Bergeret qui se rallie à elle comme au régime le moins dogmatique et le moins unitaire. « La démocratie, dit M. Bergeret, est encore le régime que je préfère. Tous les liens y sont relâchés, ce qui affaiblit l’État, mais soulage les personnes et procure une certaine facilité de vivre et une liberté que détruisent malheureusement les tyrannies locales. »

À côté de la tactique extérieure qui vient d’être exposée prend

  1. C’est peut-être de ce point de vue qu’il est possible de concilier le conservatisme politique de M. Barrès avec ses idées individualistes développées dans Un homme libre et dans L’Ennemi des lois. Peut-être aussi M. Barrès joue-t-il le jeu de bascule qui consiste à traiter en ennemi le parti le plus fort. Ou, peut-être, obéit-il à une appréhension de sa sensibilité d’artiste. Voyant, à tort ou à raison, dans le socialisme montant l’avènement d’une barbarie mortelle à l’individualité et à l’art, il se réfugie, toujours par le même jeu de bascule, dans le parti le plus rigidement conservateur et traditionnaliste. — Il convient d’ajouter d’ailleurs que l’attitude individualiste de M. Barrès n’est pas toujours bien nette. S’il semble bien individualiste dans l’Ennemi des lois et Un homme libre, d’autre part, dans un curieux opuscule intitulé De Hegel aux cantines du Nord, il semble recommander un véritable anarchisme fédéraliste.