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extérieurs. Pour cela, simplifier sa vie ; ne s’engager dans aucun lien, ne s’affilier à aucun groupe (ligues, partis, groupements de tout genre), capable de retrancher quelque chose à notre liberté (Précepte de Descartes). Braver courageusement le Væ soli. Cela est souvent utile.

b). Si le manque d’indépendance économique ou la nécessité de nous défendre contre des influences plus puissantes et plus menaçantes nous contraint de nous engager dans ces liens, ne nous lier que d’une façon absolument conditionnelle et révocable et seulement dans la mesure où notre intérêt égoïste l’ordonne.

c). Pratiquer contre les influences et les pouvoirs la tactique défensive qui peut se formuler ainsi : Divide ut liber sis. Mettre aux prises les influences et les pouvoirs rivaux ; maintenir soigneusement leurs rivalités et empêcher leur collusion toujours dangereuse pour l’individu. S’appuyer tantôt sur l’un, tantôt sur l’autre de manière à les affaiblir et les neutraliser l’un par l’autre. Amiel reconnut les heureux effets de cette tactique. « Tous les partis, dit-il, visent également à l’absolutisme, à l’omnipotence dictatoriale. Heureusement qu’ils sont plusieurs et qu’on pourra les mettre aux prises[1]. »

d). En vertu de ce jeu de bascule, quand un pouvoir acquiert une prépondérance par trop forte, il devient, de droit, l’ennemi. À ce point de vue, l’individualisme peut admettre parfaitement l’existence de l’État, mais d’un État faible, dont l’existence est assez précaire et menacée pour qu’il soit besoin de ménager les individus.

e). S’accommoder en apparence de toutes les lois, de tous les usages auxquels il est impossible de se dérober. Ne pas nier ouvertement le pacte social ; biaiser avec lui quand on est le plus faible. L’individualiste, d’après M. R. de Gourmont, est celui qui « nie, c’est-à-dire détruit dans la mesure de ses forces le principe d’autorité. C’est celui qui, chaque fois qu’il le peut faire sans dommage, se dérobe sans scrupule aux lois et à toutes les obligations sociales. Il nie et détruit l’autorité en ce qui le concerne personnellement ; il se rend libre autant qu’un homme peut être libre dans nos sociétés compliquées[2]. »

  1. Amiel, Journal intime, II, p. 88.
  2. R. de Gourmont, Épilogues, II, p. 308.