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58 REVUE PHILOSOPHIQUE

légères modifications des régions privilégiées ont eu l’avantage de s’associer aux tendances prépondérantes et d’entraîner des réactions d’ensemble une vibration inaccoutumée des cils del’infusoire, des soies ou poils du vers, de l’articulé, voilà la « sensation » qui entraîne l’éloignement ou la contraction ; à peine la zone pigmentaire d’un protozoaire est-elle affectée par ce que nous appelons la lumière ou l’ombre que l’être s’approche ou fuit ; un mouvement d’otolithes fait que la méduse se replie sur elle-même. La sensation primitive n’est pas « faite pour )’ renseigner l’être vivant sur son milieu et sur les variations de ce milieu ; mais elle devient le meilleur moyen pour l’animal de conserver l’existence et de satisfaire aux besoins vitaux. Son rôle ne pouvait manquer d’être prépondérant après l’association des réactions d’ensemble dues aux modifications sensorielles et des émotions agréables dues à une adaptation supérieure. Cependant elle ne nous fait pas encore pénétrer immédiatement dans le domaine de l’intelligence. Il faut faire intervenir ici ce qu’on pourrait appeler le « principe du moindre effort a appliqué à l’activité psychique. Tout être tend spontanément à se fatiguer le moins possible, et le changement incessant est plus fatiguant que la répétition de la même attitude, de la même réaction. C’est pourquoi à des modifications analogues de la périphérie (et en particulier d’un organe sensoriel) correspond une activité de la même région nerveuse ou corticale’, un même processus psychique. M. Paulhan a justement remarqué (/ ?eu. pM., 1889) des tendances générales, c’est-à-dire susceptibles de diriger l’être vers des fins qui sans être semblables présentent assez d’analogies pour que le même mode d’activité donne un résultat satisfaisant avec chacune d’elles. Le même « résidu » mental s’adapte ainsi à de multiples circonstances ; se renouvelant spontanément, il se dégage peu à peu de la motricité avec laquelle il était d’abord intimement lié ; il devient 1’ « image’ M représentative, le substitut d’une activité neuro-psychique et neuro-musculaire. Dès lors, l’être peut concevoir des mouvements sans les exécuter ou même les ébaucher, imaginer au lieu d’agir ; et plus son système nerveux se rattache étroitement à une activité corticale plus complexe et mieux unifiée, plus il vit en images au lieu de vivre en actions. Toute son expérience passée se résume en un certain nombre de substituts psychiques, associés de telle façon qu’une simple modification sensorielle évoque toute une suite d’images dont l’effet est un ensemble de mouvements appropriés comme 1. C’est ce qui explique les localisations cérébrales.