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TOME LXII. JUILLET 1906. 1


LA MORALE ET LA SCIENCE DES MŒURS


RÉPONSE A QUELQUES CRITIQUES


Il est généralement admis qu’en matière de morale les changements se font avec une extrême lenteur. C’est une observation qui ne vaut pas seulement pour les règles morales elles-mêmes, mais aussi pour la spéculation philosophique sur la morale. Cette spéculation n’entre pas volontiers dans de nouvelles voies. Elle s’en tient de préférence à ses problèmes traditionnels. Elle ne les croit bien posés que sous leur forme habituelle. Essaye-t-on de montrer que cette forme est surannée et que ces problèmes, ou du moins certains d’entre eux, ne doivent plus être posés, aussitôt des malentendus et des conflits se produisent.

La Morale et la Science des Moeurs devait en faire l’expérience. A peine ce livre avait-il paru, que l’on pouvait lire dans un compte rendu sommaire 1 « L’auteur. nous apporte un traité de morale. Avoir mis tous ses soins à faire voir qu’aux traités de morale construits par les philosophes, il faut substituer désormais une science des moeurs, qui ne prétendra nullement être normative, et un art moral rationnel, fondé sur cette science; et s’entendre répondre aussitôt, sans ironie, que l’on apporte un traité de morale! Je n’en croyais pas mes yeux, je l’avoue. Depuis lors, je suis revenu de ce grand étonnement. Le mot qui m’avait d’abord si vivement surpris est devenu pour moi une indication précieuse. II m’a éclairé sur les dispositions d’esprit de la plupart de mes critiques. Il m’a donné par avance la clef d’un grand nombre d’objections qui me furent faites. Celles-ci aussi supposent, implicitement, que la Morale et la Science des Moeurs est, ou doit être, un traité de morale. Mon dessein avait été tout autre, et je l’avais expliqué de mon mieux. Pourquoi, malgré les précautions prises, le malentendu s’est-il produit cependant? Peut-être, en cherchant les raisons de ce fait, pourrons-nous à la fois répondre à quelques-uns de nos critiques, et mettre mieux en lumière ce que nous nous sommes proposé d’établir.


1. Revue de Métaphysique et de Morale, juillet 1903.


TOME LXII. - JUILLET 1906. 1