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représenter la science comme une sorte de chorégraphie mentale, un enchaînement ingénieux d’attitudes prises par l’esprit et que l’esprit règle tout seul. L’examen des adaptations ou commodités sera même un travail fructueux qui dévoilera des rapports réels entre nous et les choses.

Enfin, tout en excluant l’arbitraire, tout en comportant le caractère de nécessité concrète, l’adaptation scientifique est évolutive. Elle ne peut, la plupart du temps, demeurer acquise une fois pour toutes, parce que la science progresse. Or la science progresse de deux manières par approximation et par extension. Nous perfectionnons peu à peu l’observation, l’expérience et la mesure ; de là vient que nous connaissons mieux les faits et que nous parvenons à exprimer leurs relations avec une précision croissante progrès par approximation. L’effet d’un tel progrès sur un rapport doit entraîner souvent, comme cela se conçoit sans peine, le changement du langage qui sert à exprimer ce rapport. D’autre part des faits nouveaux viennent s’ajouter à ceux qui sont déjà connus, et mettent en lumière des relations auparavant insoupçonnées. Celles-ci à leur tour forment des groupes qui se ramifient et s’étendent progrès d’extension. De là, modification des théories ou systèmes qui sont le langage servant à exprimer ces groupements.

Une remarque importante a sa place ici. Nos expressions des relations entre les faits ne sont autres que les lois. Par conséquent, affirmer que l’adaptation scientifique reste évolutive tant que le progrès par approximation peut être conçu comme possible, c’est-à-dire indéfiniment, cela revient à dire que les lois sont toujours approchées. Réciproquement, le caractère approximatif des lois entraîne le caractère évolutif de l’adaptation. Et dans le cas du progrès par extension, adaptation nouvelle et dislocation de théories ou systèmes anciens sont équivalentes. Ces principes « les lois sont toujours approchées H et « les systèmes sont toujours caducs », n’ont pas été, à la vérité, formulés pour la première fois par M. Poincaré, mais il a eu le mérite de les synthétiser par la notion de commodité où ils se trouvent impliqués tous deux, ainsi que nous espérons l’avoir démontré en interprétant la commodité scientifique comme adaptation à la fois nécessaire et progressive.