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SAGERET. LA COHMOmiÉ SCIENTtF~UE 39

a pas de nécessité métaphysique, pas de nécessité absolue, et en effet les nécessités ont toujours quelque chose de conditionnel. Si on se dispensait de parler et de penser, on ne serait pas forcé d’admettre que les objets extérieurs existent. Si on ignore tout ce que nous avons découvert depuis les Grecs, on n’est pas forcé d’admettre que la terre tourne. Si on fait abstraction du monde qui nous entoure on n’est pas forcé d’admettre que les distances sont euclidiennes. En second lieu il y a des degrés et des différences dans le caractère impératif des diverses nécessités. L’existence des objets extérieurs s’impose avec plus de force et à plus de gens que la rotation de la terre. Et la rotation de la terre ne s’impose pas de la même manière au savant et à l’homme du monde. Comme dans un langage philosophique encore très répandu la nécessité ne comporte ni gradations ni nuances, il était légitime de la remplacer par la commodité qui est élastique. Pas plus élastique cependant que la nécessité entendue au sens ordinaire. La commodité, si on la considère ainsi, n’est point facultative, ni arbitraire, elle exclut le doute. En allant jusqu’à dire « Il est plus commode d’admettre l’existence des objets extérieurs », M. Poincaré met sur le même plan cette existence et la rotation de la terre. II explique à cette occasion que la certitude scientifique égale nos certitudes les plus solides. Nous sommes certains du mouvement de la terre comme nous sommes certains de vivre, d’agir, de penser, de ne pas trouver demain les tours de Notre-Dame juchées sur le Panthéon. Certitudes relatives, inégales, évidemment, mais certitudes inébranlables, sauf peut-être pour le métaphysicien. Les nécessités que nous avons considérées plus haut étaient des nécessités d’adaptation. Une nécessité de langage nous contraint d’adapter notre système de signes aux rapports que nous découvrons entre les choses. Or adaptation est à peu près synonyme de commodité. Un fauteuil est plus ou moins commode suivant qu’il se trouve plus ou moins adapté à notre corps. Malgré cela, une adaptation n’est ni arbitraire, ni artificielle, elle correspond à un rapport réel. 11 y a, pour continuer notre exemple, un rapport entre un siège et l’animal auquel celui-ci est destiné. Un terme de ce rapport étant donné, le second terme se trouve déterminé dans une certaine mesure. Un fauteuil étant donné, on ne sera pas maître de faire qu’un cheval y repose, et réciproquement un cheval étant donné, les fauteuils, les perchoirs et un certain nombre d’autres places de repos se trouvent exclus. En matière de science, la commodité considérée comme adaptation n’ouvrira pas la porte plus grande au scepticisme. On ne pourra s’autoriser d’elle pour