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effroyable en effet, si elle était nécessaire. Mais la science des mœurs n’implique rien de tel. Elle reconnaît, au contraire, qu’à un moment donné l’harmonie des forces dans une société n’est jamais parfaite. C’est toujours une coMco ?’<~ta discors. On y constate la lutte de tendances diverses, des efforts pour conserver l’équilibre actuel, contrebalancés par d’autres efforts pour en établir un différent, l’apparition d’idées et de sentiments nouveaux en correspondance avec les changements qui se produisent dans les phénomènes économiques, religieux, juridiques, dans les rapports avec les sociétés voisines, dans la densité croissante ou décroissante de la population, etc. Et quant à refuser à l’individu le droit de juger la volonté sociale, comment la science y songerait-elle, puisque n’étant pas normative, elle n’est pas non plus prohibitive, et qu’elle ne défend rien à personne ? Est-ce de l’art moral rationnel que l’on redoute cette tyrannie ? Mais, par définition, il ne servira qu’à « améliorer » les institutions sociales. Il n’est pas vraisemblable que cette amélioration consiste jamais à briser ce qui a été jusqu’à présent un des ressorts les plus énergiques du progrès social. Il faut attendre de lui, au contraire, qu’il procure une indépendance toujours plus grande des individus en même temps qu’il assurera une solidarité sociale toujours plus étroite. Si ces deux termes semblent aujourd’hui s’exclure, la faute en est sans doute à notre ignorance, et à la dureté des charges qu’elle fait peser sur les individus dans la société présente. Pour conclure, les quelques objections que nous avons examinées, comme les craintes plus ou moins vives que l’on exprime, soit au nom de la conscience morale, soit du point de vue de l’action politique et sociale, se ramènent sans trop de peine à une origine commune. Elles procèdent d’une répugnance, dont les raisons sont multiples et fortes, à accepter jusqu’au bout l’idée d’une « nature morale H et d’une science appliquée à connaître cette nature. Nous en trouvons l’aveu pour ainsi dire ingénu chez un critique. Après une longue discussion qui aboutit à un exposé de ses propres idées, il écrit cette phrase significative « Nous ne connaîtrons jamais bien la société que dans la mesure où nous l’aurons /6 ! ». Tant qu’une croyance de ce genre persiste, tant que l’on s’imagine que des actes de volonté, même collectifs, suffiront pour déterminer dans la réalité objective les transformations que l’on souhaite, à quoi bon en effet se contraindre au long et pénible détour qui passe par la science ? Il est beaucoup plus simple et plus écono- Belot, Revue de Métaphysique et de Afora~e, septembre 190S, p. ’ !6i.