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telle autre non ? Les conditions du succès sont si complexes que nous ne saurions, dans l’état actuel de nos connaissances, en donner une analyse satisfaisante. Nous savons du moins que l’habileté, la décision, le tact politique, le génie de l’homme d’État, quand ils se rencontrent, peuvent exercer là une influence décisive. Vérités presque trop évidentes, que notre doctrine ne songe pas à nier. Elle ne dit pas et n’a pas à dire « Abstenez-vous, tant que la science ne sera pas faite. » Elle dit, au contraire « Le mieux serait, ici comme ailleurs, de posséder la science de la nature, pour intervenir dans les phénomènes à coup sûr, quand il le faut, et dans la mesure où il faut. Mais, jusqu’à ce que cet idéal soit atteint, si jamais il doit l’être, que chacun agisse selon des règles provisoires, « les plus raisonnables possible », ce qui ne veut pas toujours dire des règles conservatrices.

Ainsi, lorsqu’un critique estime que nous aboutissons à des « conséquences extrêmement conservatrices. à préserver la société, telle qu’elle est constituée, des accidents qui peuvent l’ébranler 1 », il tire de la doctrine des conséquences qui n’en découlent point naturellement. Sans doute, l’art moral rationnel ne peut exister encore, puisqu’il suppose une connaissance scientifique des institutions sociales, et que, cette connaissance, nous commençons à peine à l’acquérir. Mais notre ignorance confèré-t-elle à toutes ces institutions, quelles qu’elles soient, un caractère intangible et sacré, jusqu’à ce que la science soit faite ? C’est bien une affirmation de ce genre qu’on nous prête nous nous refusons à l’accepter. Nous dirions bien plutôt, au contraire tant que la science n’est pas faite, nulle institution n’a de caractère intangible et sacré. Comment l’attitude scientifique ne serait-elle pas en même temps une attitude critique ? Sans doute, de notre point de vue, toutes les institutions, comme toutes les morales, sont « naturelles ». Mais « naturel » ne veut pas dire, comme certains semblent l’avoir cru, « légitime », et qui doit a priori être conservé. Pour le savant, la maladie est aussi naturelle que la santé. Il ne s’ensuit pas qu’un membre gangrené doive être traité comme un membre sain. De ce que la science constate tout, étudie tout avec une impartiale sérénité, il ne faut pas conclure qu’elle conseille de tout conserver avec une égale indifférence.

Après cela, est-il nécessaire de montrer que notre doctrine n’a pas pour conséquence « un esclavage, où nul ne peut être admis, à titre individuel, à juger la volonté sociale~" ? Conséquence 1. Revue de Métaphysique et de Morale, juillet 1903. . Cantecor, Revue p/t :7o~opA :~Me, mars 1904, p. 240.