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faut régir en mineures, et pour lesquelles un pouvoir autocratique est de nécessité absolue. Celles de l’Europe occidentale n’en sont plus là. L’émancipation de ces dernières ne s’est-elle pas faite prématurément ? On peut le soutenir, du moins à l’égard de quelques-unes, sans grande vraisemblance d’ailleurs, car il ne paraît pas que leurs intérêts aient été moins bien gérés dans le nouvel état de choses que dans l’ancien. Quoi qu’il en soit, cette émancipation est un fait accompli sur lequel il n’y a plus à revenir. Désormais nous ne voulons plus, nous ne comprenons plus même la subordination à des hommes, mais seulement à des lois. Le mot sujet a perdu son sens d’autrefois, même dans les vieilles monarchies, au point que dans des pays, qui vivent en république, on accepte sans difficulté le qualificatif de sujet français, sujet suisse ou américain. Nous avons des magistrats pour faire respecter les lois et veiller à l’ordre public ; mais leur autorité est l’autorité de la loi, non la leur propre. Ceux d’entre nous qui servent l’État à titre de fonctionnaires ont des chefs administratifs ou militaires à qui ils doivent obéissance ; comme citoyens ils n’ont d’ordres à recevoir de personne. Celui que l’on appelle le Chef de l’État, prince héréditaire ou président électif, a la haute mission de personnifier l’État et de le représenter devant les puissances étrangères. Il peut exercer sur la marche des affaires publiques une action considérable ; mais il n’est, à proprement parler, le maître de rien, du moins dans les pays où le droit politique moderne règne sans partage avec l’ancien ; parce que, quelle que soit l’origine de son pouvoir, la naissance ou l’élection, il n’est qu’un délégué de la nation à la suprême-magistrature, et que l’État c’est nous, non pas lui.

Il semble pourtant que du souverain d’ancien régime il y ait une survivance dans la famille. Le père est un maître qui doit être bon et dévoué à ses enfants, mais c’est un maître. — Non, ce n’est pas un maître pour qui comprend bien la vraie nature du pouvoir paternel. La vie de l’homme a besoin d’être rationnelle, même au premier âge, parce que les instincts qui règlent la vie animale lui faisant défaut en grande partie, l’homme n’a pour se conduire dans la vie que sa raison. Le père c’est d’abord la raison qui manque encore à l’enfant, et qu’il faut lui imposer d’autorité, puisqu’il est incapable de comprendre. Mais cette raison c’est la raison objective et absolue, du moins ce doit l’être, car le père ne peut imposer à son enfant comme une vérité en soi ce qui n’est que son opinion propre. L’autorité du précepte vient donc de la raison seule, dont le père n’est que l’organe. Par conséquent, elle est impersonnelle. Le père c’est encore la voix qui commande, et au besoin la force qui con-