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VII

Que devient après cela le principe d’autorité ? Est-il condamné à périr ? N’attend-il que le fossoyeur ? Non, l’autorité est éternelle comme la liberté, parce que, comme la liberté, elle a son fondement au plus intime de notre nature. Seulement la conception qu’on s’en fait généralement dans le monde a besoin de subir une modification profonde. De théologique qu’elle est, aujourd’hui encore, chez les chrétiens qui l’aiment et, par contre-coup, chez les antichrétiens qui la haïssent, il faut qu’elle devienne relative et purement humaine. À cette condition seule elle peut être sauvée rationnellement et il importe beaucoup qu’on en puisse donner une justification rationnelle, car, pratiquement, nous en avons un besoin absolu.

L’autorité est une contrainte exercée contre la raison ou contre la volonté d’un homme, lesquelles sont libres par nature. En soi c’est donc un mal. Ce qui rend ce mal tolérable c’est à la fois sa nécessité et sa limitation. Il faut qu’il soit nécessaire, c’est-à-dire qu’il soit, ou bien une conséquence inévitable, ou bien une condition indispensable de l’exercice de nos fonctions vitales dans le monde des phénomènes tel qu’il est constitué. Il faut qu’il soit limité, c’est-à-dire que l’obstacle opposé par l’autorité à la liberté de l’intelligence ou de la volonté humaines ait un objet précis et particulier, en sorte que la contrainte soit restreinte et provisoire. Que l’autorité vienne à perdre l’un de ces deux caractères, la raison et la liberté périssent, ou plutôt c’est l’autorité elle-même qui périt, ruinée par son propre excès. Dès lors il est clair que le fondement de l’autorité ne saurait être en Dieu, d’abord, parce que Dieu ne fait ni ne veut le mal, ensuite parce que l’autorité perdrait en même temps sa nécessité et sa limitation. Elle perdrait sa limitation, puisque le domaine de Dieu sur ses créatures n’a pas de limites ; elle perdrait sa nécessité, puisqu’alors ce ne sont plus les exigences de la vie, mais quelque chose de très différent qui nous l’imposerait. Il est vrai qu’à la nécessité relative dont la dépouille la thèse que nous discutons vient se substituer une nécessité d’un tout autre ordre, qui est encore plus nécessaire, puisqu’elle est absolue. Mais par là le but est dépassé. L’autorité pouvait se comprendre comme nécessité relative, et comme condition de la vie dans un monde où tout est relation. Comme nécessité absolue, comme loi transcendante, elle ne se comprend plus. Par ce qu’il y a de transcendant en nous nous sommes raison et liberté pures. Que la puissance qui