Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 55.djvu/151

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion

dantes et plus précises. C’est un moyen d’en donner à Armande, qui, spontanément, n’en a pas beaucoup. Je lui dis la phrase suivante, après l’avoir avertie qu’elle devra me décrire ses images : « Un coup de vent a emporté la toiture de la maison. »

Au bout de 7 secondes, elle répond : « Je vois comme image le coin de la rue Fouquet et de la rue Nationale ; seulement, ce n’est pas le toit, c’est le grillage que le vent a enlevé ». Image en partie inexacte, maladresse de tir. Un autre exemple est curieux par ses sous-entendus. La phrase suivante « Sa barbe de bouc était jaune-fauve, » après 10 secondes de méditation, amène cette réponse d’Armande : « Je me représente des bois avec une petite cahute. C’est un récit dans Gil Blas. » Étonné de la discordance vraiment comique entre ce que je suggère et ce qu’on me répond, je demande : « Où est la barbe ? R. Il n’y en a pas. Seulement dans cette cahute habitait un vieux mendiant avec une barbe jaune. D. Tu l’as vu ? R. Non. » Qu’on se rende compte de tout ce qui n’a pas figuré en image dans cette pensée ! Le souvenir du roman de Gil Blas, le souvenir d’une certaine description, un mendiant avec une barbe jaune, qui était postiche, etc. L’image n’a été qu’une partie toute petite de cette pensée, et pas la plus importante.

Les images d’un récit spontané.

Je demande à mes deux sujets de me dire ce qu’ils feraient s’ils pouvaient rester trois heures à S…, seuls, avec la liberté complète de leurs actions. Cette question les intéresse un peu ; elle leur est posée pendant une expérience, et mes sujets savent bien que c’est une expérience ; mais ils ne se doutent pas que je vais leur demander les images qui leur ont apparu. Le récit d’invention est donc fait sans souci appréciable d’une introspection postérieure. Armande, un peu lasse d’une longue course-corvée qui a pris une moitié de la journée, me donne un développement assez bref. Voici ce qu’elle dit, et ce que j’écris sous sa dictée aussi vite que je le puis (3 juin 1902).

Récit parlé d’Armande. « D’abord nous visiterions la maison Bre… ; on peut au moins rester une demi-heure. Ensuite, nous irions dans la maison M. pour prendre la bicyclette. Nous ferions un tour dans le pays, dans S…, nous suivrions le trolet jusqu’à Fontainebleau. »

Aussitôt après, je lui demande les images qu’elle a eues. Ces images sont forts simples, elles se réfèrent seulement aux lieux où se passe la scène. C’est une visualisation du cadre, rien de plus : « J’ai eu une image de notre jardin. Puis la rue Fouquet, avec nous