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ouvrage de Flournoy sur les Synopsies[1] et dans le livre plus récent de Lemaître[2]. Ce dernier a donné de très nombreux exemples de symboles graphiques correspondant à l’idée de villes, ou de cours d’eau.

Ce genre d’imagerie est peut-être plus fréquent qu’on ne le pense. Beaucoup de personnes le possèdent, sans en avoir le soupçon, parce qu’elles n’en ont pas reconnu la véritable nature ; ce sont des événements qui appartiennent à la vie intime et dont on n’a pas l’occasion de parler, parce qu’ils n’ont pas d’intérêt pratique ; il en est de ceux-là comme de l’audition colorée par exemple. Le principal caractère de ces représentations, c’est qu’elles sont involontaires ; soit qu’elles nous poursuivent constamment comme des obsessions ou qu’elles surgissent seulement à notre appel lorsque nous en avons besoin, dans tous les cas, nous avons le vague sentiment qu’elles se sont construites en dehors de notre volonté, et que nous ne pouvons pas les modifier.

Images qui succèdent à l’audition d’une phrase.

J’ai fait déjà la remarque que si on demande au sujet de se former une image après avoir entendu un mot, on le place dans des conditions favorables au développement des images ; rien ne prouve que les images jouent un rôle aussi important dans la pensée qui se développe naturellement, sans souci spécial d’introspection, par exemple lorsque nous lisons un ouvrage, ou que nous écoutons une conversation.

Voilà une première objection à opposer à l’étude expérimentale de l’idéation faite avec des mots. Il y a une autre objection, bien plus grave ; c’est que l’on ne sait pas au juste si et comment le mot dit par l’expérimentateur a été compris par son sujet. Lorsqu’on fait des expériences consistant à dire des termes généraux et qu’on s’enquiert de l’idée que le sujet s’est formée après avoir écouté ce qu’on lui dit, on admet implicitement, sans même se poser la question, que le sujet, en recevant ce terme général, a eu une pensée générale ; ce n’est pas tout à fait prouvé, quoique ce soit possible. Il est possible aussi que le sujet n’ait pas fixé son attention sur le mot, n’en ait pas pénétré profondément le sens, mais que, glissant rapidement, il soit allé de suite à l’image, car c’est l’image qu’on lui demande d’expliquer. Pour parer à cette objection, qui théorique-

  1. Flournoy, Des phénomènes de Synopsie, Paris, 1893.
  2. Lemaître, Audition colorée et phénomènes analogues observés chez des écoliers, Paris, 1901.