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dans cet autre exemple. Je dis le mot Ficelle. Armande, après un moment, répond : « Je ne sais pas pourquoi, je me représente la route de F… ça n’a aucun rapport. D’abord je pense un peu au mot ficelle, je m’y habitue. Puis cette image (la route de F…) qui apparaît, et qui est chassée par d’autres pensées… Je suis toute étonnée de la voir ». Une autre fois, les mots : « petite pluie abat grand vent » donnent l’image de la route de F… mais sans pluie. Dans ces deux derniers cas, la différence est si grande que cela devient une autre pensée.

Il va sans dire que pour démontrer la possibilité d’une indépendance entre la pensée et l’image, j’ai analysé des exemples un peu exceptionnels ; la règle n’est pas l’incohérence de l’image, mais bien sa concordance avec la pensée.

Nous venons d’étudier des imageries incohérentes.

Les auteurs ont publié quelques bizarreries d’imagerie qui se rapprochent des précédentes, sans être absolument équivalentes ; ce sont des cas d’imagerie symbolique ; je leur donne ce nom parce qu’il existe une association constante entre une pensée et une image disparates. L’incohérence d’imagerie devient du symbolisme quand elle prend une forme constante. Citons des exemples :

Sidgwick, cité par Ribot (Évolution des idées générales, p. 143) assure que lorsqu’il raisonne sur l’économie politique, les termes généraux ont pour concomitants des images souvent bizarres comme celle-ci : valeur = l’image vague et partielle d’un homme qui pose quelque chose sur une échelle. Une dame que je connais m’a avoué avec grand’peine qu’elle a deux images bizarres, toutes deux pour des noms propres : l’une est l’idée d’un corps froid, boueux, grisâtre, indissolublement lié au prénom Alfred ; l’autre est l’image d’un moulin, liée au nom Duval. L’origine et l’explication de ces images n’a pas pu être reconnue ; la personne sait seulement que ce sont des représentations de date très ancienne. J’ajouterai que cette dame a des traces d’audition colorée et un développement exceptionnel de la mémoire des chiffres (dates, numéros d’adresses, etc.). Récemment, un auteur américain, Bailey, a cité (Amer. J. of Psychol.,  XII, oct. 1901, p. 80-130), après une étude sur plusieurs personnes, un grand nombre de cas pareils. Chez l’une d’elles, le mot au-dessus donne toujours l’image visuelle d’un abîme. À une autre le mot froid donne toujours le souvenir d’une peinture de sa classe de géographie représentant une scène arctique. Ces représentations ne sont pas sans analogie avec celles qu’on a désignées sous le nom de schèmes et de personnifications, et dont on trouvera un grand nombre cités dans le remarquable