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LA PENSÉE SANS IMAGES


J’ai voulu profiter du dressage à l’introspection que deux enfants avaient reçu pendant les expériences de psychologie dont j’ai publié une partie ici même[1] pour leur demander des renseignements sur le rôle joué par l’image dans l’idéation. C’est là une question assez subtile et il est curieux de l’étudier en collaboration avec des personnes qui sont tout à fait étrangères à la psychologie des traités. La difficulté principale est de distinguer entre la pensée et la représentation ou image, ou entre l’idéation et l’imagerie[2]. Or, c’est sur ce point que j’ai fait porter mon investigation ; je me suis attaché à déterminer quelle relation existe entre ce qu’on pense et ce qu’on se représente, et de quel secours est l’image pour la pensée. C’est la pensée que je prends comme point de départ dans cette étude ; je cherche à la définir d’après tout ce que mon sujet m’en apprend ; puis, cette pensée une fois définie, je cherche dans quelle mesure des images ont concouru à sa formation. Allant de suite aux extrêmes, je me demanderai : peut-on penser sans images ? Cette question concise se subdivise en deux questions secondaires : ou la pensée peut n’être accompagnée d’aucune espèce d’image appréciable ; ou bien la pensée peut être accompagnée de certaines images, qui sont insuffisantes pour l’illustrer complètement.

Images qui succèdent à l’audition d’un mot.

Il est possible qu’à l’audition d’un mot une pensée précise se forme sans être accompagnée d’aucune image appréciable ; mes

  1. Voir Revue Philosophique, oct. 1902, « Le vocabulaire et l’Idéation ». Toutes ces questions et beaucoup d’autres relatives à l’idéation, à la pensée abstraite, et à la psychologie individuelle seront reprises dans une étude d’ensemble qui paraîtra bientôt sous le titre de « Étude expérimentale de l’intelligence ».
  2. C’est intentionnellement que j’oppose ces deux termes d’idéation et d’imagerie, que tant d’auteurs ont confondus ; par idéation, j’entends largement tous les phénomènes de pensée ; l’imagerie a un sens plus restreint ; elle est une représentation sensible soit d’un objet, soit d’un mot ; dans le texte, je parle exclusivement de l’imagerie sensorielle et je laisse de côté l’imagerie verbale.