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social dans lequel le désir et l’idée ne seraient que de vains épiphénomènes. — L’intellectualisme absolu, de son côté, aboutirait à la méconnaissance de ce qu’il y a de spontané dans le libre mouvement de la vie.

Ainsi posé, le problème serait insoluble. C’est qu’au fond il ne peut y avoir radicale et définitive antinomie entre ces deux forces qui constituent l’individualité humaine : l’instinct et l’intelligence. Leur double évolution est parallèle et harmonique. Par exemple lorsque Nietzsche pose ce précepte moral de lutter contre soi-même, de triompher d’un instinct qui prend trop de force par la culture de l’instinct opposé, ce précepte est-il autre chose qu’une transposition dans l’ordre intellectuel et conscient de ce qu’est dans le domaine instinctif la loi du rythme des passions.

Nous arrivons à cette conclusion qu’il y a un grave danger dans l’excès d’abstraction intellectualiste qui engendre les dogmatismes sociaux et moraux et qu’une grande part de vérité est contenue dans le nihilisme moral et social qui met à néant ces dogmatismes destructeurs de la vie et de l’individualité. Pour rendre entièrement vraie cette philosophie individualiste, il faut renoncer seulement à la faire reposer exclusivement sur l’instinct. — L’intelligence a ses droits imprescriptibles qu’elle ne peut abdiquer, surtout quand il s’agit de fonder l’individualisme. Car il ne peut y avoir d’individualisme sans la conscience claire que l’individu prend de lui-même et de son milieu social.


Georges Palante.