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tions d’existence et nécessite des adaptations nouvelles, toujours troublantes. Nous avons vu comment le fanatique se rapproche de cet « idéal », comment il détruit en lui « toute humanité », c’est-à-dire tout ce qui reste étranger à son moi ecclésiastique ou sectaire[1], et comment il éprouve le besoin de maintenir, envers et contre tous, la stabilité absolue de son milieu.

Cette stabilité sociale qui assure et garantit la stabilité mentale des faibles et des abouliques, paraît être l’œuvre propre du fanatisme politique ou religieux. Le premier dispose, pour la réaliser, de certaines idées simples et fortes, surtout de certaines formules revêtues d’une puissance mystérieuse, de formules magiques. Le second fait appel à une personne omnisciente, omnipotente, dispensatrice du bonheur terrestre et éternel ; c’est cette personne divine qui, soit par des interventions directes, soit par l’intermédiaire de ses agents humains fait régner dans les sociétés l’uniformité des croyances, des mœurs, des tendances et des désirs. L’extraordinaire pouvoir de l’idée religieuse explique les extraordinaires effets du fanatisme religieux.

Reste à savoir comment se réalise cette uniformité sociale et à expliquer, en les rattachant à notre interprétation générale, les principales formes du fanatisme. J’espère montrer prochainement, ici-même ou ailleurs, que toutes les manières d’agir des fanatiques se ramènent à deux modes fondamentaux : l’exclusivisme et le prosélytisme, lesquels reproduisent dans la société les procédés négatifs et positifs d’unification ou de simplification psychologique ; — et que les manifestations si variées du fanatisme tiennent à des différences de milieux et de moments, sous lesquelles se retrouvent toujours des besoins et des états émotionnels identiques.


E. Murisier.



  1. § II.