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LE FANATISME RELIGIEUX


ÉTUDE PSYCHOLOGIQUE

La distinction du sentiment religieux individuel et du sentiment religieux social paraît mieux fondée et plus importante que l’opposition ordinaire de la vie contemplative et de la vie active. La psychologie du mysticisme nous a fait connaître la forme individuelle[1]. La psychologie du fanatisme nous dévoilera, au moins en partie, la forme sociale.

En vérité, la question est loin d’être épuisée, surtout en ce qui concerne le fanatisme religieux, objet spécial de cette recherche. Chez la plupart des auteurs qui l’ont abordée, historiens, moralistes, polémistes, il n’y aurait guère à prendre que des exemples, et encore importerait-il, si l’on y avait recours, d’en user avec mille précautions. Les seuls savants qui aient contribué à élucider quelque peu le problème psychologique se trouvent parmi les sociologues et les aliénistes.

Des écrivains tels que Taine, Tarde, Sighele, Le Bon, fondateurs de la psychologie des foules et des sectes, apportent des faits intéressants, parfois nouveaux, des interprétations ingénieuses, plausibles, quoique peut-être insuffisantes. Leurs portraits du « meneur » et du chef de secte paraissent fort ressemblants. Mais outre que des descriptions même exactes ne sauraient tenir lieu d’explication même partielle et provisoire, le meneur et le chef politiques se distinguent à certains égards du fanatique religieux et ce dernier qui nous intéresse tout particulièrement n’a été, que je sache, le sujet d’aucune étude spéciale, minutieuse et quelque peu explicative.

Du côté des aliénistes, autre lacune. On distingue, en général, deux phases dans la folie religieuse, l’une de dépression, l’autre d’exaltation, l’une de réceptivité, l’autre d’activité. À la première correspondent des crises d’angoisse, de doute, de démonomanie ; à la seconde, les hallucinations réconfortantes, les conflits avec le monde réel, la théomanie, le prophétisme, le fanatisme. Malheu-

  1. Voir Revue philosophique, nov. et déc. 1898. Faisant allusion à ce travail, à plusieurs reprises, j’y renvoie une fois pour toutes.