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« les définitions de figures à l’aide de constructions géométriques, les suppositions de lieux pour les points, lignes ou surfaces qui satisfont à des conditions requises, et tout d’abord les plus simples définitions des Éléments d’Euclide impliquent des faits d’intuition que nulle démonstration n’atteindrait sans en supposer d’autres du même genre. »

Mais, de même que l’espace fourni par l’intuition devient par abstraction l’espace géométrique homogène, de même la surface et la ligne, fournies aussi par l’intuition, deviennent, par réduction des dimensions de l’espace homogène, la surface et la ligne homogènes, c’est-à-dire le plan et la droite. C’est donc en vain que le géomètre cherche la définition génétique (descriptive) de la droite et du plan, puisque ce sont des données ; il ne peut que les définir par une marque restrictive et distinctive qui en fait des concepts. Aussi, simples marques distinctives et rien de plus sont les attributs qui figurent dans les définitions usuelles de la droite. De là vient que ces définitions ont pour la plupart, entre autres défauts, la forme de théorèmes, ou bien — c’est le cas pour celle du plan — elles impliquent un ensemble surabondant de conditions auxquelles l’esprit ne voit pas qu’il puisse satisfaire à moins qu’elles ne soient reliées et réduites par des postulats préalables exprimés ou sous-entendus.

La vraie marque caractéristique de ces données intuitives est le résidu de l’abstraction qui, appliquée à un fond réel, leur a donné naissance ; c’est, nous venons de le dire, l’homogénéité, c’est-à-dire la propriété d’admettre des figures ne différant qu’en grandeur.

Or les deux premiers postulats d’Euclide concernant la droite, si l’on y fait bien attention, ne font que lui reconnaître son caractère de donnée. Par le premier, Euclide demande qu’on lui donne la droite, en d’autres termes qu’on lui donne une règle ; par le second, il demande à pouvoir prolonger une droite indéfiniment et, cela va sans dire, au moyen de cette même règle glissant sur sa propre trace. Dans le troisième enfin, il caractérise la droite comme étant simple entre deux quelconques de ses points.

Il n’a pas de demande concernant le plan. Il n’y en a pas non plus dans aucune géométrie que je connaisse. Cependant le plan, lui aussi, est une donnée ; on ne le peut décrire. Le plan est donné par le rabot, portion de plan qu’on fait glisser sur elle-même, comme la droite est fournie par la règle, portion de droite qu’on fait glisser sur elle-même. Réduit à sa plus simple expression, le rabot est une portion de droite, représentée par le tranchant du fer, qui s’appuie sur deux parallèles, représentées par les deux arêtes inférieures du bois.