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qu’elle soit précipitée sur une autre planète… et ainsi de suite. Son énergie potentielle est donc infinie si l’on veut. L’énergie potentielle, résultant d’une intégration, est une de ces quantités que l’on rencontre en physique et que l’on ne doit envisager que par leur variation dans un intervalle fini, déterminé.

Si dans le monde psychique et moral, notre triste expérience nous permet d’observer des phénomènes de fatigue, d’épuisement pour la matière cérébrale, de perte, de dépense sans retour pour la force nerveuse, il n’est rien d’analogue dans le monde physique, et c’est là, je crois, que se trouve l’erreur fondamentale de M. Ferrero. Il a confondu l’inertie mécanique et le sentiment psycho-physiologique que l’on désigne vulgairement sous le nom d’inertie ; c’est pourquoi il pense que l’énergie s’épuise, que le mouvement se perd, tandis qu’en réalité la matière du physicien est simplement inerte, elle ne se fatigue pas, et la force mécanique de l’univers n’est pas en provision limitée. Pour ce qui est de la « force mentale » de M. Ferrero, il ne semble malheureusement point en être ainsi ; les six dernières pages de sa note sont le développement de cette théorie très juste que l’homme a horreur du travail, ce qui le conduit à conclure, en se calomniant, que « … le cerveau paraît se trouver chez la plus grande majorité de l’humanité dans un état de faiblesse normale, par laquelle en peu de temps il se lasse et s’épuise au travail ».

Comme Claude Bernard, ne pensez-vous pas, Monsieur, que si l’on veut transporter les lois mécaniques du monde physique dans le domaine psychologique, il ne serait pas inutile d’en connaître la formule exacte et précise, telle que l’emploient les mathématiciens ? Autrement, à prendre des termes scientifiques dans leur sens littéraire mais vague, l’on risque bien de ne faire que des métaphores plus ou moins heureuses au point de vue poétique. Je désire plus que personne voir la psychologie se constituer enfin sur des bases vraiment scientifiques, mais je doute fort qu’avec des découvertes comme celles de M. Lombroso et avec des lois telles que la loi d’inertie mentale, elle puisse jamais prétendre au titre de science positive. Il est donc à souhaiter que, comme chez nous, l’on exige des philosophes étrangers des connaissances scientifiques générales, et je suis certain qu’à ce moment, ces messieurs et leurs élèves, poursuivant leurs intéressantes recherches, les rédigeront de telle sorte qu’il n’y ait plus qu’à applaudir des deux mains.

Croyez, en attendant, je vous prie, Monsieur, à l’assurance de mes sentiments très respectueux.

J. M.