Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 37.djvu/173

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion


L’INERTIE MENTALE


ET LA LOI DU MOINDRE EFFORT

La physique nous démontre qu’aucun corps ne se meut si le mouvement ne lui est communiqué, par une voie ou par une autre, du dehors ; la chimie nous démontre que les phénomènes chimiques sont impossibles si un courant de mouvement moléculaire ne vient troubler les vibrations des atomes provoquant entre eux des nouveaux arrangements, que ce mouvement soit sous forme de lumière, de chaleur, d’électricité ou d’action mécanique (choc, pression). De même un corps en mouvement s’arrête, une substance chimique devient inactive lorsque cette quantité de mouvement communiqué a été entièrement consommée, car aucun phénomène n’est éternel. C’est la loi bien connue qu’on nomme loi d’inertie ; mais tandis que cette loi est en général censée régler seulement les phénomènes de la matière, elle règle aussi les phénomènes de l’esprit et est susceptible d’application même dans le champ des sciences psychologiques[1].

Le cerveau, en effet, pour entrer en action et produire des images, des idées, des émotions, doit être pour cela pourvu de mouvement ; car un état de conscience est, de même que tous les autres phénomènes naturels, une dépense de force, de cette espèce particulière de force que nous appelons nerveuse, faute de savoir rien de plus précis sur elle, mais qui selon toutes les probabilités doit en dernière analyse se réduire au mouvement : et la voie par laquelle tout ce courant de mouvement et de vie vient aboutir au cerveau, ce sont les sens. Il est vrai que souvent il nous paraît que des images, des idées, des émotions se produisent en nous par elles-mêmes ; mais c’est une illusion engendrée par l’ignorance de la cause qui a éveillé tel ou tel autre état de conscience. Nous prêtons en général très peu d’atten-

  1. Le mérite d’avoir introduit l’idée de l’inertie en psychologie revient, comme on sait, à M. Lombroso, qui s’en servit pour expliquer l’inné conservatisme humain. Dans cette étude, je propose une nouvelle application de cette idée qui me paraît très féconde.