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ANALYSES.Émile Boutroux. Aristote.

habilement sa cause contre les critiques bienveillants, tels qu’Auguste Comte ou M. Flint ; mais il est impitoyable pour les détracteurs, et le dernier mot lui reste en fin de compte ; n’est-il pas injuste en effet de traiter Condorcet d’illuminé et de le tourner en ridicule en lui reprochant d’avoir admis un perfectionnement indéfini de la nature humaine, qu’il a très raisonnablement expliqué, ou une sorte d’immortalité, qu’il a niée formellement ?

Enfin les dernières pages de la thèse nous montrent ce qu’est devenue l’idée du progrès chez les philosophes du xixe siècle, et analysent les théories de Saint-Simon, de Comte, de MM. Spencer et Renouvier. Les résumés très exacts et très concis, suivant de près les textes sans être encombrés de citations, peuvent être fort utiles ; faut-il ajouter qu’ils sont un peu impersonnels et qu’on y voudrait sentir plus présentes les idées de l’auteur ou celles de Condorcet ? Outre que cette revue est incomplète, — les philosophes allemands sont seulement cités et d’autres sont omis, — nous serions peut-être mieux édifiés sur cette prétendue utopie, nous verrions mieux encore combien peu étaient chimériques les espérances de Condorcet, si l’on nous montrait « que toutes ces idées sont allées se développant et se fortifiant de plus en plus », que toutes ont été réalisées ou inspirent nos projets de réformes : abolition de l’esclavage, extension du libre-échange, division de la propriété, développement de l’hygiène privée et publique, importance de la statistique, établissement d’écoles gratuites, laïques, obligatoires, etc., etc. Condorcet avait prévu ou réclamé tous ces progrès, et M. Gillet trace lui-même ce programme en deux pages substantielles (151-153) ; on regrette qu’il n’ait pas pris le parti de le développer dans cette langue saine, toujours sobre et en même temps vive et ferme, qui n’est pas un des moindres mérites de sa thèse.

M. Gillet a oublié ou laissé de côté le pessimisme dont les conclusions renverseraient toute la théorie ; le reproche n’est pas aussi grand qu’il le paraît : car le pessimisme est bien plutôt un sentiment ou un parti pris que l’on ne saurait discuter ni réfuter. Quoi qu’il en soit, on reste volontiers de l’avis de Condorcet et de son défenseur. On ne saurait l’être froidement, car il y a dans tout ce travail une franchise de libéralisme et de « moralisme », une chaleur de convictions qui gagnent le lecteur. La critique de nos jours est souvent froide et impassible ; celle-ci est plus vive, plus militante, et nous ne saurions nous en plaindre, puisqu’il faut aussi féliciter M. Gillet de sa loyale et scrupuleuse équité.

C. C.

Émile Boutroux. Aristote. Article de la Grande encyclopédie (70e livraison), 41 colonnes.

Notre collaborateur, M. Émile Boutroux, fait à la Sorbonne, on le sait, un cours remarquable sur l’histoire de la philosophie allemande,