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ANALYSES.gillet. L’utopie de Condorcet.

Rochas a observé que, presque toujours, le sujet perd sa sensibilité cutanée au moment où va se réaliser la suggestion, ce qui est bien conforme à l’opinion de M. Delbœuf que le sujet s’endort avant de faire l’acte suggéré ; il suffit donc que le sujet se pince pour vérifier s’il est ou non en état de suggestion. S’il constate l’absence de sensibilité, il doit dès lors recourir à une action en hétéronome pour sortir de cet état. M. de Rochas indique des frictions énergiques sur le crâne ou le front comme produisant le même résultat.

Voici, à ce sujet, une expérience faite par M. de Rochas, en présence de M. Myers, depuis la publication de son livre : « J’endors Benoît et je lui dis : Dans cinq minutes vous verrez entrer mon fils Henri (actuellement au lycée de Grenoble) ; vous vous souviendrez qu’il est revenu à Blois. Au bout de cinq minutes après son réveil, il voit entrer Henri, lui tend la main, échange quelques mots avec lui et lui offre une chaise… L’illusion aurait pu se prolonger indéfiniment, puisque Benoît croyait savoir que Henri était revenu. Pour provoquer un dénouement, M. Myers fait semblant d’allonger à Henri un coup de poing ; Benoît se contente de nous regarder avec étonnement. — M. Myers recommence, et nous voyons Benoît se pincer, sans rien dire, les mains, puis les jambes ; enfin il se frotte le front et s’écrie : Parbleu ! je ne le vois plus ; c’était une suggestion, mais je ne pouvais pas y croire, puisque je savais que M. Henri venait de revenir de Grenoble. »

Dans cet exemple, le sujet s’est débarrassé d’une hallucination ; on trouvera dans le livre même un exemple caractéristique où il s’est soustrait à une tentation de vol. Mais on se demande si tout autre procédé, dont on aurait suggéré l’efficacité, ne réussirait pas aussi bien, et, d’une façon générale, on regrette, en lisant l’ouvrage de M. de Rochas, qu’il n’ait pas mentionné avec plus de soin les précautions qu’il a prises pour ne pas produire dans ses expériences de polarité de simples effets de suggestion. Lui-même ne prétend pas n’être jamais tombé dans ce piège toujours tendu, mais il aurait pu dire ce qu’il a fait pour s’y soustraire. Nous pourrions lui chercher chicane aussi sur un certain défaut d’ordre dans la rédaction, mais il y aurait mauvaise grâce à le faire, car il reconnaît le premier ce défaut dans un épilogue où il explique qu’il n’a cessé d’ajouter de nouvelles observations durant l’impression de son livre. Ce livre est, en somme, fort intéressant, et nous espérons qu’il sera suivi, quelque jour, d’un autre ouvrage qui, consacré exclusivement aux questions spécialement étudiées par M. de Rochas, pourra par là même gagner en précision scientifique.

Georges Lechalas.

Gillet. — L’utopie de Condorcet. Paris, Guillaumin, 1883.

Cette notice vient un peu tard, et l’auteur s’en excuse d’autant plus qu’il serait injuste de ne pas signaler aux lecteurs de la Revue l’intéressante étude de M. Gillet.