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ANALYSES.g. tarde. La Criminalité comparée.

primitifs ; on ne trouve par exemple dans ce système rien qui rappelle le perfectionnement indéfini de la monade leibnitzienne dont la conscience en s’éclairant peut devenir presque adéquate au monde. Il ne s’agit ici que d’une sorte de vibration selon le même rhythme qui gagne de proche en proche les éléments voisins, sans rien changer à leur nature intime. La seconde loi introduit incessamment dans l’univers des types nouveaux, des idées nouvelles ; c’est une loi de différenciation, je dirais presque de création par éruptions discontinues. Comment se fait ce renouvellement ? C’est ce que nous n’avons pu saisir avec certitude. Nous croyons que M. Tarde distingue deux sortes de changements : les uns résultent de l’action réciproque des agrégats cohérents les uns sur les autres ; ils consistent en une altération des natures primitives. De même qu’ « un organisme normal, exempt de tout microbe délétère implanté du dehors, ne présenterait jamais le moindre bouton, la moindre maladie proprement dite, une société « se maintiendrait pure comme sa race » si elle restait « isolée, sans rapports commerciaux ni militaires avec des civilisations différentes formées d’éléments perturbateurs de la sienne » (p. 192 et 195). Donc tout changement accidentel, passif, reçu du dehors est en réalité un obstacle à l’être, une limite posée à son accroissement par assimilation et un germe de dissociation, danger pour son homogénéité interne. Au contraire, les changements qui se produisent spontanément sont bienfaisants en tant qu’ils dérivent du fond primitif de l’être et renouvellent son originalité primitive sans la détruire. Cependant il est d’autres passages où les inventions préconisées comme utiles sont qualifiées de dissidences et où ces dissidences paraissent être la matière nécessaire de l’assimilation « conformiste », en sorte que les changements même subis par un contact avec le dehors, une fois ramenés au rhythme, et les inoculations même virulentes une fois atténuées, contribueraient à l’affermissement et à la santé des corps sociaux comme des autres agrégats. C’est sans doute parce qu’il envisage les effets différents des innovations selon qu’elles sont récentes et que l’être est encore tout troublé par leur premier choc ou qu’elles sont anciennes et laissent l’organisme plus ample et plus varié qu’il n’était avant de les subir, c’est sans doute à cause de cette différence de points de vue qu’on le voit exalter tantôt la fidélité à la tradition, tantôt la hardiesse des découvertes, et maudire avec autant de verve tantôt la routine, tantôt les innovations révolutionnaires. Théoriquement, que ce soit la stabilité ou le mouvement qui l’emporte, cela doit lui être indifférent, parce que le monde et sa doctrine y trouvent toujours leur compte.

Ces vues générales le conduisent à une conception vraiment curieuse de la moralité et de son contraire, le délit. L’éthique et l’esthétique se ramènent pour lui à la logique (p. 210). C’est-à-dire que les diverses phases de la vie morale d’un peuple ne sont qu’un jeu d’idées, un mécanisme de représentations. Une société ne trouve l’équilibre que dans l’accord logique, c’est-à-dire par la formation d’un faisceau de jugements