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SEIGNOBOS.de la connaissance en histoire

de César ; on le connaît non par l’observation directe comme les faits d’expérience, mais par un procédé historique indirect comme tous les faits disparus. Presque tout ce que nous savons sur les hommes et les sociétés se réduit ainsi à une connaissance historique. La méthode historique domine non seulement les sciences dites historiques qui opèrent sur des phénomènes anciens, mais toutes les sciences psychologiques et sociales, parce qu’elles opèrent sur des phénomènes passagers et complexes. Elle est nécessaire non seulement aux historiens du passé, mais à quiconque étudie les sociétés humaines. L’histoire n’a droit qu’à une petite place dans l’ensemble de la connaissance ; mais la logique des sciences doit faire une large place à l’étude de la méthode historique, car elle est la méthode de outre connaissance indirecte.

II

Un fait passé ne peut plus être connu que par les traces qu’il a laissées. Ce sont ces traces qu’on appelle documents. Il ne peut donc y avoir de connaissance historique que par le moyen d’un document ; la tradition, dont certains logiciens font une source de connaissance distincte, n’est qu’un document oral.

Les documents sont les seuls matériaux de la connaissance historique ; mais ils peuvent prendre deux formes très différentes. Un fait passé peut avoir laissé deux sortes de traces : des traces matérielles empreintes directement sur les objets que son contact a modifiés, des traces psychologiques dans l’esprit des hommes qui en ont ressenti l’impression. Le campement d’une bande laisse sur le sol des charbons éteints, dans l’esprit du témoin qui l’a vu camper le souvenir de son passage. Les traces matérielles sont connues directement par la perception, les traces psychologiques indirectement par l’intermédiaire d’un récit oral ou écrit. L’observateur perçoit les charbons directement, il ne connaît le souvenir du témoin qu’indirectement par un récit. La différence est grande. La trace matérielle est l’empreinte immédiate du fait qu’elle a eu pour cause directe, elle s’est produite suivant des lois physiques simples et bien connues ; elle donne donc sur ce fait, sinon la connaissance directe que seule la perception peut donner, du moins une connaissance indirecte reliée à la connaissance directe par une loi fixe. La trace psychologique au contraire n’est qu’une empreinte laissée sur les paroles du narrateur par son état d’esprit qui lui-même porte une empreinte du fait extérieur ; de ces deux empreintes, l’une directe, l’autre transmise, nous n’atteignons que l’empreinte trans-