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ANALYSES.g. tarde. La Criminalité comparée.

évidents postulats de cette philosophie, trouver un asile en aucun point de l’espace et à aucun moment de la durée, pas plus à la fin des temps — comme s’il y avait une fin ! — qu’au faîte imaginaire de la hiérarchie des formes sociales. En effet, en supposant que l’humanité réussisse à s’adapter un jour à des conditions d’existence prévues, ce jour-là le milieu cosmique changerait, des conditions d’existence nouvelles surgiraient, l’équilibre des sentiments et des idées avec les conditions anciennes serait rompu et l’humanité devrait se remettre en marche à la poursuite d’un nouvel idéal. L’humanité peut se sentir lasse, l’univers ne se repose pas. D’ailleurs, le repos n’est pas le bonheur et il n’y a rien de moins enviable que cette abdication définitive du désir en vue de laquelle on demande la cessation de la lutte et de l’effort. Si donc la doctrine de l’évolution implique un optimisme relatif en ce sens qu’elle doit supposer que les sociétés, comme le monde, sont bonnes en quelque mesure puisqu’elles existent ; elle ne peut permettre à aucun être vivant, pas plus aux sociétés qu’aux individus, de compter sur un état final d’équilibre absolu. Elle montre au contraire que les éléments cellulaires dans le corps, les individus et les familles dans les groupes sociaux, les nations elles-mêmes dans l’humanité sont soumis à loi de dissolution sans laquelle l’évolution est impossible. Par là elle échappe aux critiques de M. Tarde, car elle explique les ruines que la civilisation sème sur ses pas, les ruines morales comme les autres, de la même manière que les morts partielles qui se produisent dans tout organisme en voie de renouvellement. Il y a du déchet dans toutes les opérations de la nature. Après tout, les nations ne sont pas plus immortelles que les individus et il n’est pas du tout exigé par les données de cette philosophie que les États civilisés deviennent à une heure quelconque de leur développement comme autant de corps saints doués d’incorruptilité, affranchis au dehors comme au dedans de la nécessité de lutter pour vivre et de mourir pour faire place à d’autres Il est donc certain que la guerre et le crime ne cesseront jamais et nous verrons tout à l’heure que M. Tarde lui-même est sur ce point beaucoup plus optimiste qu’il ne faut.

Le crime est une maladie sociale or la biologie a établi que tout tissu qui est le siège d’une inflammation subit une régression qui le rapproche des formes histologiques inférieures la division des fonctions y diminue ; ses éléments cessent de travailler pour eux-mêmes et pour les autres parties du corps vivant ; ils vivent désormais d’une vie parasitaire funeste au reste du corps. Le parasitisme les dégrade encore davantage. Il ne faut donc pas s’étonner que le vicieux et le criminel portent les stigmates de la dégénérescence et que leurs associations comme leurs personnes retournent aux types inférieurs. Mais ce serait, il nous semble, mal interpréter la philosophie de l’évolution que de chercher dans le criminel les traits mêmes du sauvage. Les cellules du cerveau d’un mammifère atteint de dégénérescence ne ressemblent que de très loin aux cellules ganglionnaires des animaux inférieurs.